L'un des défauts les plus infâmes de l'être humain est que, bien souvent, il ne tient pas ses promesses. Il y a comme une réprobation universelle à cette tendance immorale commune et intemporelle à ne pas respecter sa parole, à ne pas donner corps aux serments prononcés, à trahir les espérances. Cette pratique est en cela bien souvent condamnée : elle nourrit même les tendances politiques opposées à notre société libérale qui dénoncent une théorie de marché libre censée profiter à tous par le jeu de la Main Invisible. Juan Branco est sans doute parmi ceux-là : il semble cultiver une détestation profonde de la société telle qu'elle est, de ses cercles de pouvoir, de ses structures, de ses dispositifs et de ses institutions. Outre le côté parfois nihiliste, voire suicidaire, du personnage qui peut presque le rendre sympathique, a priori en lutte contre son milieu d'origine ultra bourgeois, avec un sens semble-t-il de la politique (parfois basse), il a su cultiver, par sa critique des hautes écoles et des normes juridiques de la société, une image d'intellectuel plein d'acuité. En cela, le lecteur avisé ne peut pas décemment reprocher à Juan Branco de raisonner. Il réussit à produire des systèmes de pensée complexe, à analyser des habitus sociaux et même à produire de belles abstractions. Sa critique de la société du spectacle est légitime : elle est même plutôt pertinente en soi, bien que très commune, et un peu nuancée par le fait que Juan Branco est lui-même un produit de cette société bourgeoise du spectacle. Evidemment, quand un esprit indéniablement brillant, extraordinairement provocateur, à la limite du masochisme par cette faculté d'auto-sabotage permanente que je trouve à titre personnel passionnante, décide de traiter un sujet crucial de l'empire médiatique Bolloré, à travers le cas Hanouna, on est enthousiaste. Il faut dire que le marketing est parfait : Juan Branco promettait des révélations, la mise au jour d'un système de domination, sans sensationnalisme certes, mais avec une précision journalistique dont il nous avait démontré les talents. On frémissait d'impatience face à ce best-seller qui détrônerait Hanouna de sa position semi-dominante dans les médias. Un monument du style pamphlétaire.
Mais Juan Branco n'a pas produit le livre qu'il laissait miroiter. D'abord, sur la forme, j'avais sincèrement rarement lu un livre aussi mal écrit. Il est difficile de se détacher du caractère juvénile, voire puérile, du style utilisé. La forme un peu grandiloquente, qui masque à peine un manque réel de maîtrise, est absolument imbitable : le lecteur ne saisit rien aux phrases complexes d'adolescent sous acide qui se shoote avec les mots pour démontrer artificiellement la profondeur de son esprit. L'éditeur gagnerait à informer Juan Branco, qui porte autant dans son écriture que sur son visage son caractère d'éternel gamin suicidaire, que ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et que les mots pour le dire arrivent aisément (merci Beaumarchais pour la citation). Mais outre cela, le critique sent la fainéantise profonde et l'empressement du bouquin : les chapitres se succèdent avec une quantité et une qualité décroissantes, et véritablement, les derniers chapitres laissent transparaître une vacuité affolante. Pas fini, bavard, oscillant en permanence entre un mépris terrible et une forme de profondeur intellectuel indéniable, le lecteur se sent profondément escroqué par le "pamphlet". Sur le fond, Hanouna est traité comme un objet de dissertation philosophique pour bébés secoués. Excepté au début de l'ouvrage et dans la post face, il n'y a aucune critique institutionnelle factuelle du phénomène. Au bout de quelques pages, la critique purement théorique et intellectuelle, abstraite et presque phénoménologique, fatigue parce qu'elle se répète et recycle les mêmes poncifs. Il y a comme un goût d'inachevé dans cet ouvrage, qui aurait mérité un vrai traitement sérieux, par le véritable danger que peut poser le système Hanouna au niveau des médias, de la justice et du pouvoir. Pourtant, Branco n'est pas à la hauteur : on a l'impression de lire un bouquin alimentaire de dandy toxicomane et dégénéré, devant écrire pour financer son train de vie de faux dissident infantile et menteur. Difficile de ne pas sentir subrepticement la mise en place d'une mise en abime de la critique de l'artifice de la société du spectacle : beaucoup de bruit, de marketing, de "dispositif", pour du néant. Hanouna, lui, au moins, se donne la peine de travailler son vide à lui. Tragique, pour ce dandy prometteur.