Critique de Shaynning

Incontournable Juin 2022

Un album magnifique qui m'évoque le travail formidable des frères Fan, "Hardie comme une sourie" parle d'amitié, mais également de la force requise pour les défendre. Il est, en outre, le premier album à la fois écrit et illustré par l'illustrateur Niccolo Carozzi.

Une souris et un poisson rouge sont amis et aiment jouer ensemble. Un jour, d'autres veulent "Jouer" avec le poisson rouge. Des chats, au nombre de trois. Voyant son ami dans une position fâcheuse, la souris décide de distraire les trois matous en servant d'appât. Était-ce courageux? Oui. Était-ce la chose à faire? Absolument pas. ("Défendre ses amis", certes, mais pas à n'importe prix). Notre petit rongeur, en détalant dans le garde-manger, se retrouve prit au piège. Heureusement, les chats tombent sur des paquets de croquettes pour chats et s'en désintéresse. La souris cogite: que faire? Les chats sont alourdis de sommeil par leur festin, mais tôt ou tard, ils ramèneront leur attention sur son ami écaillé. Puis, une nouvelle idée émerge. Épaulés de ses congénères, la souris entreprend d'amener une soucoupe et une tasse jusqu'au bocal du poisson. le sauvetage peut commencer. Les souris pêche le poisson et le dépose délicatement dans la tasse, qui contient un peu de son eau de bocal. Lentement, mais surement, la petite troupe achemine leur passager hors de la maison, direction: L'étang.

J'adore ce genre d'histoire à la fois simple, mais profonde, où les actions font foi de tout. Dans cette histoire, il est question de courage, certes, mais j'apprécie la nuance. Être courageux requiert parfois un peu plus de subtilité que la simple impulsion. le courage peut se trouver dans la patience, dans le projet réfléchit et concerté, comme ce fut le cas, entre autre dans nombre de conflits de part le monde. L'oppression et le danger peuvent être mit à mal par la ruse, l'esprit, la collaboration et n'implique pas systématiquement une force physique. Aussi, les meilleurs projets n'impliquent pas forcément de se substituer au danger à la place de l'autre.

Autre élément: les amitiés qui transcendent l'espèce ( quoique dans le cas humain, c'est une transcendance ethnique). Remarquez que le rongeur et le poisson se trouvent des activités communes malgré une évidente différence physiologique.

Mais l'élément touchant reste cette grandeur d'âme de la souris, qui ne conçois même pas de demeurer passif face à la présence des chats. On ignore si les chat se contenteront de le tourmenter ou de carrément s'en nourrir, mais peut importe, l'idée de le voir souffrir d'une façon ou d'une autre mobilise la souris. Je remarque qu'il a mobilisé ses propres amis rongeurs pour son projet, ce qui confère un côté collectif altruiste lui aussi très touchant. Après tout, ces souris là n'ont rien à y gagner, sinon de peut-être faire la bonne chose?

J'ignore si c'est encore moi qui extrapole trop, mais quand j'ai vu ces trois chats noirs entourer notre pauvre petit poisson rouge, j'ai vu de l'intimidation scolaire. Trois intimidateurs, plus gros, plus nombreux et lâches devant une cible qui n'est même pas en mesure de se défendre. Et devant ce constat, son ami, témoin, qui refuse de le laisser seul, quitte à détourner l'attention ( pas le meilleur des moyens, j'en conviens). Quitte à élaborer une stratégie alors? Ah! Là, c'est mieux adapté. L'un des enjeux centraux de l'intimidation en milieu scolaire est justement l'inaction des acteurs qui se cantonnent au rôle de témoins passifs. Une violence passive, en somme, qui permet aux intimidateurs de poursuivre ce qu'ils qualifie bien souvent de "Jeu".
Côté illustrations, je trouve le travail de l'auteur similaire à celui d"Éric et Terry Fan, en ce sens où nous sommes dans des scènes très concrètes, très réalistes d'un point de vue graphique. On sent le détail, la texture et la lumière dans le dessin comme dans les couleurs. Celles-ci sont douces, souvent dans les tons pastelles, avec une dominance pour les bleus, les beiges, les blancs et les gris. Seul le noir du pelage des des chats vient s'imposer, faire tache, dans ce décor tout en douceur, ce qui vient accentuer leur imposante présence dans le récit. La nature est magnifique, également et j'observe la même quasi absence de lignes pour délimiter les éléments du graphisme, pour Carozzi comme pour les frères Fan.

C'est donc un album au message universel, qui parlera aussi bien aux jeunes enfants que les enfants d'âge scolaire. Une ode à l'amitié, au courage et au pouvoir du groupe.

Pour un lectorat à partir du préscolaire, 4-5 ans. ( Approfondissez les pistes de réflexion entourant les actes de courage, l'intimidation et le rapport de force avec les cycles primaires supérieurs, entre 6 et 10 ans)