J'ai trouvé Herland assez inégal et au final décevant comparé à ce que j'en attendais. Publié sous la forme d'un feuilleton en 1915, il est l'oeuvre d'une féministe américaine notoire de la première vague. On y trouve des idées extrêmement en phase avec son époque (l'idée du progrès des nations et de la prédominance des industries et des sciences notamment) mais avec une vision clairement nuancée par un anti sexisme novateur et anticonformiste. Malheureusement (et je ne lui en tiens bien sûr pas rigueur), ça a assez mal vieilli : on sent déjà clairement le ton feuilletonesque, qui hésite beaucoup entre l'exposé savant de l'utopie d'Herland, et le vaudeville un brin maladroit. Le discours change de ton, le registre est parfois très familier, puis on repart dans des circonvolutions un peu maniérées et désuètes. L'écriture n'est clairement pas le point fort d'Herland, qui m'a parfois semblé être de l'ordre de la fanfiction, pour dire !
Beaucoup d'épisodes narratifs sont inutiles, alourdissent le récit dans des digressions peu intéressantes. J'aurai préféré que l'autrice passe plus de temps à perfectionner son utopie, et qu'elle la rende plus vraisemblable, plus tangible. J'avais face à moi des êtres éthérés, et même si le but était de montrer quelle extrémité heureuse pouvait atteindre une nation de femmes, c'était trop évasif et en surface pour que j'y crois 2 secondes. Ceci étant, je pense que le but n'était pas de réaliser un pamphlet politique, mais plus de divertir les lectrices.
Néanmoins j'ai beaucoup aimé la façon dont Charlotte Perkins Gilman focalise son analyse sur la maternité, Bien suprême de toutes ces femmes. Au lieu de l'utiliser comme un repoussoir (être mère, ce fardeau) ou comme un argument misogyne (tout juste bonnes à enfanter), elle montre habilement comment la maternité, au coeur de leur "femmelité", est un cadeau qu'elles mesurent à son juste poids : un honneur, une mission, un destin vers plus de progrès, de bien commun, de savoirs et d'intelligence. Ça m'a rappelé ma lecture d'Annie Leclerc, qui montre la femme qui crée le sursaut de vie, ne doit pas rejeter le care, la maternité pour ce qu'elle est... en tout cas que cette possibilité fait partie intégrante de son être au monde, et qu'elle la façonne. C'est un point de vue qui n'a plus trop la côte en ce moment, mais je le trouve intéressant.