Laurent Jaoui est écrivain et journaliste et il nous raconte dans cet ouvrage l’histoire du Château d’Hérouville dans la région parisienne, tout près d’Auvers-sur-Oise. Il a été acheté par Michel Magne pour en faire un studio d’enregistrement dernier cri où les artistes pourraient demeurer dans des conditions de confort très appréciables (tennis, piscine, cuisine et cave haut de gamme…). Le succès va être rapide grâce à de grosses vedettes qui vont y enregistrer des albums majeurs : Elton John y a enregistré 3 albums essentiels de ses « 5 glorieuses » (1970 à 1975), le fameux Honky Château (1972), Don’t shoot me, I’m only the piano player en 1973 et quelques mois plus tard son chef d’œuvre, Goodbye yellow brick road. Il y est revenu avec ses musiciens pour répéter sa tournée 1975. Magne était un grand compositeur de musique de films ainsi qu’un énorme fêtard : celle qu’il a organisée en juin 1971 avec le Grateful Dead qui n’avait pas pu jouer à Auvers-sur-Oise, et à laquelle les habitants du village ont été invités, est restée dans les mémoires. Mais voilà, Magne n’était pas un gestionnaire du tout et criblé de dettes, il a dû abandonner le château en 1974, repris par Laurent Thibault, ancien de chez Magma devenu ingénieur du son puis producteur ou plutôt « Enrêveur » comme il aime se définir, c’est-à-dire réalisateur des rêves des artistes. Pour lui, les rêve ne sert à rien s’il n’est pas réalisé. C’est à travers lui qu’on parcourt l’histoire de ce lieu essentiel du rock puisqu’il l’a dirigé pendant 11 ans, jusqu’en 1985.
D’énormes vedettes surtout britanniques sont venues durant ces années enregistrer à Hérouville, y trouvant un « son » fabuleux, une équipe technique de qualité et un ingénieur-producteur à l’écoute, prêt à toutes les expériences selon les volontés des musiciens (enregistrer dehors ou dans les escaliers pour la réverbération comme l’ont fait les Bee Gees en 1977 pour la musique d’un film pas encore sorti et dont on n’attendait pas grand-chose, un certain Saturday Night fever !) : Bowie et Iggy Pop ont ici une place évidemment centrale puisque Bowie y a enregistré Pin Ups et Low, et Iggy The Idiot, Fleetwood Mac est venu pour Mirage et Rainbow pour Long Live Rock’n’roll (période Dio, la meilleure). Côté français, tout un chapitre est logiquement consacré à Jacques Higelin, vivant au château pendant plusieurs années et y enregistrant plusieurs albums dont les fabuleux Champagne pour les uns et Caviar pour les autres en 1979 : « Esprits, je vous remercie/ De m'avoir si bien reçu/ Cocher, lugubre et bossu/ Déposez-moi au manoir/ Et lâchez ce crucifix/ Décrochez-moi ces gousses d'ail/ Qui déshonorent mon portail/ Et me chercher sans retard/ L'ami qui soigne et guérit/ La folie qui m'accompagne/ Et jamais ne m'a trahi/Champagne », une chanson directement inspirée par Hérouville. J’ai appris énormément d’anecdotes en particulier les relations explosives entre Higelin et Ritchie Blackmore durant le séjour de Rainbow (jet d’œufs sur Jacques par erreur, vieux poste de radio de Jacques balancé dans la cheminée par Blackmore) ! Pas de quoi s’ennuyer à cette époque-là ! Les relations entre Thibault et Higelin ont été très étroites mais ont fini par se disloquer avec le temps. Bien sûr, sont aussi évoquées les tensions et mésententes qui ont pu exister entre le producteur et certains artistes comme Lavilliers ou Patrick Coutin. Le rock est heureusement tout sauf un long fleuve tranquille, sinon ce serait d’un ennui profond !!!
Pas facile de gérer les exigences quotidiennes des artistes, parfois parfaitement légitimes, parfois totalement loufoques, leurs egos souvent surdimensionnés et les abus qu’ils pouvaient commettre... Un lieu de création essentiel qui a fait faillite en 1985. L’ère des studios résidentiels semblait définitivement terminée et l’essor des « Home studios » dans les années 2000 permettait à presque n’importe qui d’enregistrer chez lui. L’histoire d’Hérouville et de ses fantômes paraissait close. Pourtant, après avoir été longtemps laissé à l’abandon, le studio d’Hérouville est reparti grâce à des passionnés depuis 2015 et des concerts y sont régulièrement filmés pour des Arte Sessions de qualité (Sparks en 2023…). C’est Benjamin Biolay qui a rédigé la préface, fasciné par ce château où il aimerait enregistrer un jour et Marie-Claude Magne la postface. En annexe, une interview inédite de Laurent Thibault par Alain Dister réalisée en 2006. Un lieu historique que cet ouvrage permet de ne pas oublier et dont le plus grand mérite est d’avoir donné aux artistes, selon Christian Vander interrogé par l’auteur, « la liberté, condition sine qua non pour travailler sereinement ». Pour les années Magne, je vous conseille vivement le roman graphique, Les amants d’Hérouville, de Thomas Cadène et Yann Le Quellec, excellent, c’est grâce à lui que j’ai vraiment découvert ce lieu.