Ils vécurent heureux et fabriquèrent trop d'enfants

Ce livre rapide et efficace est un petit classique réédité aujourd'hui pour un bon plaisir !

Les clones, sujet développé et toujours redéveloppé encore actuellement, ça fait peur dans un livre de 1974. Lire la base d'un sujet pour y retrouver des poncifs et s'obliger à respecter parce que c'est la base, c'est pas lecture plaisir. Mais quand c'est un bon classique, la base c'est bon. Et comme tout bon classique respecté, on s'est abstenu de le copier. Cette approche du clonage humain, je ne l'avais pas vue ou lue avant dans des fictions plus modernes. Elle nous tire par le néocortex notamment par le fait qu'on l'attend au tournant. L'idée paraît difficile à faire tenir debout mais ça y parvient.


Le style convenu permet une narration très rapide et c'est ce qui s'apprécie le plus. Ce qui pourrait lasser vite n'est jamais le but de ce qui est décrit. Ainsi une scène nécessaire mais pas très intéressante dure un paragraphe. Plié. Et les ellipses sont ellipses, on parle en années, en générations, en tout cas pour la première moitié du bouquin. Ça se ralentit un peu dans la seconde moitié, mais pas de quoi s'alarmer, et surtout ça se justifie. Il n'est pas déplaisant non plus de laisser à un personnage singulier le temps de vivre un poil, et puis singulier, c'est le mot, tu le sais c'est ça le mot. En trois cents pages et quelques on démarre en pure romance, histoire de famille (avec un détail un peu...mfff...pas total confort, donc génial), pour passer à du scientifique propre et encore plus gênant, des spéculations morales bien trouvées et crédibles où une sorte de bigoterie grégaire côtoie la saloperie naïve, et ça sur fond de décors post-apo mélancolique un peu arty néo-basique.   Si vous avez saisi toutes les implications de ces deux dernières phrases, vous vous êtes fait spoilé.e.s. Modérez vos capacités intellectuelles, je vous prie. D'ailleurs attention, le résumé sur ce site raconte TOUT le livre.
Le seul élément « nouveau » (1974) qui est devenu un peu éculé c'est la catastrophe écologique, mais elle n'est pas suffisamment appuyée pour agacer vu la rapidité du récit et c'est même assez élégant. Agréable d'avoir un morceau de littérature écolo daté de 1974 sans avertissement de l'écrivain éclairé sur l'état de la planète, ni moralisation. La démangeaison de malaise qui nous secoue le bas-ventre tout le long du livre est en fait motivée par une grande philanthropie.

Ce qui est particulièrement formidable, c 'est cette romance entre David et sa cousine, qui est déjà assez chouette alors qu'on attend un peu l'arrivée de la SF (eh oui, ils ont mis un bébé-tube-à-essai sur la couverture et c'est au rayon SF, c'est dommage, ça rate la surprise mais d'un autre côté Hier, les oiseaux est un titre qui ne m'attirerait pas du tout au rayon « littérature blanche »). Les cousins décident d'être amoureux malgré les contingences. Mais ça se finit vite à cause de la catastrophe. Kate Wilhelm arrive à nous faire accepter cet amour peu conventionnel pour nous (pour des raisons de santé de la progéniture, nous sommes d'accord), ce qui est déjà une petite prouesse. Mais l'idée formidable est de suivre ensuite ces générations de clones de ces cousins et de leurs familles, qui vont forniquer jusqu'à plus soif et multiplier notre malaise.
Les clones, en réfléchissant à leur propre clonage, ne semblent jamais conscients de leur consanguinité et les générations passant, on ne sait plus qui est clone de qui et on a juste l'image mentale d'un délire de société fermée avec ses castes/familles clonées qui font des orgies (patchwork déjà efficace) mais en plus consanguines.
De plus, les tares des clones arrivées après les générations successives sont bien trouvées aussi et pleines de sens, sans qu'on puisse dire si elles sont dues à un problème de brassage génétique ou à un problème propre au clonage. (Il y a un truc qui m'a échappé à ce sujet, si vous savez dîtes-moi). Cette capacité de lecture d'image qui disparaît m'a fasciné. Qu'ils se perdent en forêt, c'est pas le truc le plus crédible, c'est même un peu bancal. La peur de l'extérieur oui, mais ne pas reconnaître un arbre, bof. Mais ça sert le propos, le retour à l'état sauvage, qui est ici entièrement justifié et encore une fois non moraliste. Par contre, regarder un dessin et n'y voir que des taches, c'est très intéressant.
Quant à l'idée principale, le fait que chaque groupe de clones copie-conforme se voie comme une entité et perde la notion d'individualité jusqu'à l'interdire, c'est la plus belle du livre. Il y a une ode à la solitude, qui engendre poésie et création mais aussi tristesse, mélancolie. Ça donne lieu à des promenades, à des balades mentales de l'individu isolé dans sa communauté totalement inédites, et qui (re)découvre l'art, la création. En plus c'est très acceptable comme idée si l'on en juge par le comportement très fusionnel de certains vrais jumeaux ou triplés.


Bon, c'est pas pour rien qu'il y a eu prix Hugo et Nebula pour cette belle chose.
Le talent n'a rien à voir avec le sexe.
Donc non, je ne dirai pas que j'aime lire les femmes qui écrivent de la science-fiction et qu'elles sont trop peu nombreuses.
Je ne le dirai pas.

Pequignon
7
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le 15 mai 2018

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