Trop complet pour intéresser Monsieur tout le monde
Etude très bien faite et exhaustive mais qui n'intéressera que les passionnés. Les références y sont fort nombreuses mais le récit est fort ardu pour le simple amateur.
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le 11 juil. 2011
Ouvrage qui relève le gant de répondre à la question : quand Himmler fait-il basculter véritablement la politique antisémite nazie dans une extermination systématique et industrielle des Juifs ?
Un défi pour l'historien dans la mesure où les principaux responsables, Himmler et Heydrich, étaient tout à fait conscients de l'atrocité de leur tâche et de la nécessité, 1) de l'euphémiser en parlant de "déportation" dans les principaux documents, 2) de donner les indications pratiques uniquement de manière orale pour ne pas laisser de trace écrite. Par ailleurs, les principaux intéressés sont morts avant de parler (Hitler et Himmler se suicident, Heydrich est assassiné par des résistants tchèques) ou avaient intérêt à faire porter le chapeau à d'autres (Eichmann disant à son procès qu'il n'a fait qu'obéir aux ordres).
Question complexe aussi tant l'extermination des Juifs ne se borne pas à la question des chambres à gaz. Il y eut les Einsatzgruppen, troupes SS spécialisées dans le massacre des opposants dans les territoires nouvellement conquis, qui procédaient de bien des façons : camions hermétiques empoisonnant au monoxyde de carbone ; fusillades systématiques de Juifs dans des fosses, chaque nouvelle couche de Juifs abattus étant recouverte d'une fine couche de terre avant la suivante ; expérimentation de la même méthode, mais avec des grenades ; expérimentation d'extermination à base d'explosifs. Même dans les chambres à gaz, le zyklon B était parfois remplacé par du monoxyde de carbone, un peu plus lent à agir.
Si vous vous attendez à une biographie approfondie de Himmler, ou à une monographie sur la Shoah, vous serez un peu sur votre faim : l'introduction et un premier chapitre posent le cadre mental qui est celui de Himmler (avec un recours à la psychanalyse prudent, ce qui vaut toujours mieux) et son rapport à Hitler. Le livre se termine sur la conférence de Wannsee sans chercher à fournir ensuite un bilan de la politique d'extermination.
Le plan, qui peut sembler thématique à lire les têtes de chapitre, est en réalité profondément chronologique. L'auteur a reconstitué une chronologie précise de ce qui fut l'emploi du temps de Himmler tant qu'il fut en charge, et a mis en regard les compte-rendus de réunion retrouvés dans les archives avec d'autres témoignages. Avec un maniement prudent mais perspicace de l'argument du silence des sources : le fait que tel sujet ne soit pas mentionné dans un compte-rendu de réunion entre Himmler et un autre cadre nazi ne veut pas dire que tel sujet n'a pas été abordé. Au contraire, lorsque l'un des deux fait une déclaration nouvelle/ change sa politique peu de temps après, cela peut permettre de déduire avec assez d'assurance que c'est le résultat d'un entretien qui est resté off the record. Cette gymnastique intellectuelle, et des spéculations prudentes concernant les échanges avec Hitler, pas toujours transcrits non plus, est très stimulante.
Qu'en ressort-il ? L'idée que Himmler, Heydrich et Hitler rongeaient leur frein de mettre en place une politique d'extermination dès 1939, même si sa mise en application restait très nébuleuse, et cachée par d'autres projets irréalisables, comme celui d'un foyer juif à Madagascar, qui servait surtout à accoutumer les cadres à l'idée qu'il faudrait trouver un moyen de se débarrasser des millions de Juifs concentrés dans le Gouvernement Général de Pologne. Et le livre transmet une impression très malsaine, celle de fanatiques guidés par une vision de l'Histoire grotesque (la peur d'invasions asiatiques récurrentes comme celle de Genghis Khan, dont le bolchévisme serait le dernier avatar, lié à celle d'une impureté raciale délibérément voulue par les Juifs) qui soupèsent le contexte du moment en attendant le bon moment de mettre leur projet à exécution.
Avec quelques autres traits qui méritent d'être soulignés : le fait que tout en réfléchissant à cette extermination d'un point de vue pratique, Himmler doit godiller pour éteindre auprès du Führer les protestations de ceux qui craignent les conséquences économiques de l'épuration des Juifs (Rosenberg, ministre chargé des territoires à l'est, ou Hans Frank, à la tête du Gouvernement Général de Pologne). Ce côté "querelle au sein de l'entreprise" est vraiment incongru.
Egalement le fait qu'Himmler était tout à fait conscient que d'un point de vue pratique, les fusillades massives des Einsatzgruppen n'étaient pas une solution viable à cause des séquelles que subissaient son élite raciale chérie. Lui-même se serait senti mal en assistant à un massacre dans les pays baltes, et aurait insisté, à chaque fois qu'il croisait des Einsatzgruppen, sur le fait qu'ils ne devaient pas culpabiliser d'avoir obéi à des ordres dont lui-même était seul responsable. Une empathie étonnante, quoique foncièrement pragmatique et intéressée.
Par comparaison, la découverte de la solution du Zyklon B après son expérimentation dans le sous-sol du block 11 d'Auschwitz à l'initiative de Fritsch, subordonné de Rudolf Höss (le patron d'Auschwitz-Birkenau), semble avoir été une "divine surprise". Quelques témoignages rapportent une excellente humeur de Himmler après la visite du camp, comme s'il était heureux de savoir enfin dans quelle direction aller.
Un ouvrage de recherche, dense mais pas excessivement difficile à lire, qui montre le cheminement théorique et pratique qui aboutit à la conférence de Wanssee, qui s'avère une simple présentation d'1 h 30 par Heydrich aux principales administrations du Reich du système que lui et son patron Himmler ont mis sur les rails entre octobre 1941 et janvier 1942, même si l'idée leur trottait dans la tête depuis bien longtemps.
C'est donc un livre éminemment dérangeant, où le point de vue des organisateurs de la boucherie, leurs stratégèmes, leurs questionnements sont reconstitués au jour le jour. Ne vous y lancez pas si vous n'y êtes pas prêts. J'ajoute que le livre date de 1991, peut-être y'a-t-il des besoins de mise à jour ponctuel, mais le travail de recherche critique des sources est exemplaire. On trouve un lexique, des notes, une carte en annexe.
Créée
le 14 mai 2023
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