Pépite!
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le 4 nov. 2024
Une comédienne en Argentine joue une pièce de Cocteau sur scène (La Voix humaine) malgré l’avis contraire de son agent. C’est une femme trans très célèbre, mariée avec un homme gay, dans une relation ouverte avec lui et avec qui elle adopte un enfant. Après une représentation, ils vont passer le week-end chez son père à elle, à la campagne, un milieu social très différent de leur quotidien.
Camila Sosa Villada écrit une histoire composée de personnages sans prénoms et sans noms : il y a la comédienne, le mari, l’enfant, le papa, la maman mais aussi le Vénézuélien (un amant du mari), le metteur en scène, le frère… Malgré cette figure de style impersonnelle, tous ces humains sont très justement dépeints par l’autrice et jamais on ne ressent l’idée, le concept derrière le statut social. Chacun.e est incarné.e.
Histoire d’une domestication suit la trajectoire de cette femme trans, passée de prostituée à célébrité mondiale avec le souhait de créer une famille. C’est une femme qui aime et qui ne sait pas aimer, atteint d’accès de jalousie et de profonde tendresse, désirante et désirée, qui décide de vivre sa vie comme elle l’entend. C’est une femme aussi capricieuse, peu aimable, ne cherchant pas à se faire aimer. Et pourtant, ce personnage central est touchant dans sa fragilité, ses faiblesses et ses failles. Camila Sosa Villada nous raconte ce personnage, ces personnages, d’une très belle écriture, maitrisée dans ses effets, alternant un jeu complexe d’aller-retour entre le moment où le metteur en scène vient féliciter la comédienne en la pénétrant dans sa loge et le week-end à la campagne en famille.
Le roman est donc le récit d’une fin de semaine, zébrée de souvenirs du passé, de ce couple qui s’aime et se déteste. C’est un couple improbable qui ne devrait pas s’aimer. Elle le trouve trop beau mais « aristo », « avec des manières ». Lui est gay, alors qu’elle est maintenant une femme (avec un pénis), agacé par ses caprices et part certains gestes qui trahissent une classe sociale inférieure à la sienne. Ils s’aiment autant qu’ils se disputent. Elle le sait à sa merci. Elle joue de son pouvoir, au chat et à la souris, se fait désirer, le fait souffrir volontairement. Lui revient avec un suçon après avoir couché avec le Vénézuélien, elle devient folle, meurtrie.
Le sexe occupe une très grande partie du récit. Il est détaillé sans être jamais provocateur, le sexe est pouvoir. Ici, on parle surtout de sexe anal et ces descriptions nombreuses et variées montrent que ces parties de jambes en l’air sont innervées dans un réseau d’amour, parfois malsain, voire incestueux, de haine (de soi et de l’autre), de plaisir profond, de reconnaissance aussi. C’est une famille qui pue le sperme, la vengeance, les blessures mais qui continue de chercher une exaltation certaine dans la réunion des corps.
Histoire d’une domestication est donc l’histoire de la violence familiale, baignée d’amour. Si la comédienne trans est maintenant au sommet du monde, elle aura vécu des choses horribles avant d’en arriver là. Le week-end familial nous permet de comprendre quel parent elle a eu : ce père qui n’a jamais su exprimer son amour ou accepter la situation, la transidentité de sa fille, ce demi-frère violent qui la désire tout en souhaitant la voir morte, cette mère qui aura réussi à quitter son mari pour reconstituer un pseudo havre de paix, avec un amant beaucoup plus jeune qu’elle. Mais pour combien de temps encore ? Comme dit Cocteau de sa pièce, La Voix humaine (la comédienne me jugerait, moi qui ne l’ai jamais vue ni lue, elle qui juge les gens qui n’ont jamais vu de films de Pasolini), « la comédienne doit jouer sans ironie et donner l’impression de saigner ». Ici, elle semble saigner à chaque page.
Critique publiée le 16 septembre 2024 dans le Suricate Magazine : https://www.lesuricate.org/histoire-dune-domestication-elle-semble-saigner-a-chaque-page/
Créée
le 18 sept. 2024
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