Si vous voulez un ouvrage clair et intelligent, pour faire le point sur l'histoire de notre pays, ce qui pourrait être une bonne chose tant les démagogies et les manipulations de l'Histoire sont nombreuses aujourd'hui, ne cherchez pas plus loin. L'Histoire de France de Jacques Bainville est indispensable.



Si les lecteurs veulent bien le lui permettre, l’auteur de ce livre commencera par une confession. Quand il était au collège, il n’aimait pas beaucoup l’histoire. Elle lui inspirait de l’ennui. Et quand le goût lui en est venu plus tard, il s’est rendu compte d’une chose : c’est qu’il répugnait à la narration des faits alignés les uns au bout des autres. On ne lui avait jamais dit, ou bien on ne lui avait dit que d’une manière convenue et insuffisante, pourquoi les peuples faisaient des guerres et des révolutions, pourquoi les hommes se battaient, se tuaient, se réconciliaient. L’histoire était un tissu de drames sans suite, une mêlée, un chaos où l’intelligence ne discernait rien.



Est-il vrai qu’il faille enseigner l’histoire aux enfants sans qu’ils la comprennent et de façon à meubler leur mémoire de quelques dates et de quelques événements ? C’est extrêmement douteux. On ne s’y prendrait pas autrement si l’on voulait tuer l’intérêt. En tout cas, un âge vient, et il vient très vite, où l’on a besoin d’un fil conducteur, où l’on soupçonne que les hommes d’autrefois ressemblaient à ceux d’aujourd’hui et que leurs actions avaient des motifs pareils aux nôtres. On cherche alors la raison de tout ce qu’ils ont fait et dont le récit purement chronologique est insipide ou incohérent.



En écrivant une histoire de France, c’est à ce besoin de l’esprit que nous avons essayé de répondre. Nous avons voulu d’abord y répondre pour nous-même et, à cette fin, dégager, avec le plus de clarté possible, les causes et les effets.





Voilà la profession de foi de l'auteur vis à vis de l'histoire de France qu'il nous raconte, et il la respectera. L'Histoire de France de Bainville est un ouvrage exceptionnel: il ne fait pas que réciter l'histoire de France, mais il lui donne une logique, un fil conducteur qui permettent de la comprendre. Les chapitres sont divisés en plusieurs périodes bien découpées, ce qui facilite la relecture ciblée. Bainville écrit très bien. La seule chose que l'on peut regretter, c'est que l'Histoire s'arrête à la fin de la Première Guerre mondiale. D'ailleurs, si vous avez l'équivalent de Bainville pour le XXè siècle, je suis très très preneur !


Dans la suite, je vais rassembler un ensemble d'idées et de passages qui m'ont semblé cruciaux, et que l'on pourra peut-être (ou pas, à vous de voir) considérer à la lumière d'aujourd'hui: l'Histoire, lorsque l'on comprend ses mécanismes, est toujours contemporaine.



Notre civilisation, nous la devons aux Romains




À qui devons-nous notre civilisation ? À quoi devons-nous d'être ce que nous sommes? À la conquête des Romains.



Une première citation cruciale. Notre civilisation est la continuité de la civilisation romaine. On a tendance à oublier que 500 ans, soit un quart de notre histoire s'est déroulée sous l'Empire Romain. Certes, ce n'est pas encore "la" France (on peut discuter) mais ce sont déjà les peuples qui la composent. Quelle est la conséquence sur notre histoire: la France est avant tout une civilisation catholique orthodoxe qui porte dans son ADN le besoin d'une autorité forte et souveraine, qui maintient l'ordre (cela se verra à plusieurs reprises dans son histoire)



Soumission et liberté dans l'Histoire



Sur l'affaiblissement de la féodalité:



On avait recherché la protection des seigneurs pour être à l'abri des pirates : on voulut des droits civils et politiques dès que la protection fut moins nécessaire. La prospérité rendit le goût des libertés et le moyen de les acquérir. Ce qu'on appelle la révolution communale fut, comme toutes les révolutions, un effet de l'enrichissement, car les richesses donnent la force et c'est quand les hommes commencent à se sentir sûrs du lendemain que la liberté commence aussi à avoir du prix pour eux.



Là encore, une citation très instructive sur le plan politique cette fois-ci. Les hommes se soumettent à un pouvoir s'ils sont en danger: ça a été le principe des féodalités, je suis votre vassal si vous me protégez des menaces extérieures (barbares, normands etc). Le jour où les peuples ne sont plus menacés, le jour où ils deviennent suffisamment riches pour se protéger eux-mêmes, ils ne se soumettent plus. Il ne faut pas en déduire que tout pouvoir se maintient par la peur, ce serait mal comprendre tous ces siècles de monarchie en France. Mais il faut plutôt voir que tout pouvoir s'accompagne d'une légitimité, d'un fondement, sans lequel il ne pourrait subsister: besoin d'une administration à grande échelle, maintien de l'ordre mais aussi... protection, violence imposée à la population réfractaire (dictature) etc. Enlevez cette légitimité et le pouvoir s'écroule.


D'ailleurs, une citation un peu plus loin, sous le règne de Louis XIV analyse aussi ce rapport entre soumission et liberté:



[Louis XIV écrit dans ses Mémoires pour l'instruction du Dauphin]: "Tant que tout prospère dans un État, on peut oublier les biens infinis que produit la royauté et envier seulement ceux qu'elle possède: l'homme, naturellement ambitieux et orgueilleux, ne trouve jamais en lui-même pourquoi un autre lui doit commander jusqu'à ce que son besoin propre le lui fasse sentir. Mais ce besoin même, aussitôt qu'il a un remède constant et réglé, la coutume le lui rend insensible. " Ainsi, Louis XIV avait prévu que le mouvement qui rendait la monarchie plus puissante qu'elle n'avait jamais été ne serait pas éternel, que des temps reviendraient où le besoin de liberté serait le plus fort. Désirée en 1661 pour sa bienfaisance, l'autorité apparaîtrait comme une tyrannie en 1789.



Que de justesse dans cette analyse !



Les Français n'ont pas toujours été mécontents



Une citation intéressante sur le règne de Louis XII, surnomme "le père des peuples", qui fut le règne le plus heureux de l'histoire de France.



Autant que les peuples peuvent être heureux, les Français d'alors semblent l'avoir été. Il y a peu de périodes où ils se soient montrés aussi contents de leur gouvernement. L'histoire recueille en général plus de récriminations que d'éloges. Presque toujours, on s'est plaint. Presque toujours les gens ont trouvé que les choses allaient mal. Sous Louis XII, c'est un concert de bénédictions. La France se félicite des impôts, qui sont modérés, de la police, qui est efficace, de la justice, qui est juste. Le commerce lui-même, si exigeant, est satisfait. [...] À ces moments-là, on bénit le pouvoir. Sans doute, quand la France ne court pas de grand péril extérieur, quand il n'y a pas au-dedans de factions, qui la déchirent, elle se gouverne aisément. Elle a tout ce qu'il faut pour être heureuse. La popularité de Louis XII a été due pour une part à ces circonstances favorables. La monarchie française était aussi, au jugement des contemporains, le meilleur gouvernement qui existât alors.



J'ai trouvé ce passage fabuleux. Il montre que les français n'ont pas toujours été mécontents, ce qui semble à première vue être un miracle de l'Histoire, tant nous nous défions aujourd'hui de toute autorité: politique, police, justice. Il montre aussi que la monarchie n'est pas nécessairement un système politique mauvais, mais au contraire qu'elle a semblé à cette période le meilleur possible pour ses contemporains. Les causes de cette période heureuse sont esquissées par Bainville: pas de conflit extérieur et, surtout, pas de conflit intérieur. Ceux qui liront Bainville se rendront compte à quel point les conflits intérieurs aux nations sont les plus destructeurs. Ce sont ceux qui sont les plus mauvais pour les peuples : comme l'écrit aussi Bainville, les guerres civiles profitent toujours aux puissants, jamais aux classes populaires. Ces dissensions surgissent presque toujours à la faveur d'une autorité faible et laxiste. Par exemple, la guerre civile entre protestants et catholiques au XVè siècle ne répandra que le chaos dans le pays, et se finira par un massacre (la St Barthélémy) cautionné par la royauté. Aujourd'hui, il est légitime de se demander si les différents communautarismes qui commencent à poindre dans notre nation ne la mettent pas en péril.



Politiques extérieure et intérieure sont étroitement liées



Une courte citation sur le lien entre conflits intérieur et extérieur, qui est évidemment d'actualité.



Toute guerre civile introduit l'étranger dans les affaires d'un pays. Quand une guerre civile a en outre un principe religieux, elle prend un caractère international.



Ceux qui liront cette critique en 2020 y verront sa justesse. Dans son Histoire de France, cette citation s'inscrit dans le contexte du conflit catholiques/protestants qui est une guerre civile mais aussi un conflit européen puisque l'Espagne catholique va soutenir les catholiques en France tandis que l'Angleterre protestante va soutenir les protestants.



La Révolution Française est née non pas d'un désir de liberté du peuple, mais d'un refus de la noblesse d'être dépouillée de ses privilèges



Le passage sur l'origine de la Révolution Française, qui est pour moi le plus important du livre.



Les écrivains demandent des réformes. L'administration, qui devient tous les jours plus régulière, travaille à les accomplir, et elle se heurte à une opposition générale parce qu'il est impossible de rien réformer sans froisser des intérêts. Le Parlement résiste à l'autorité, refuse d'enregistrer les impôts, comme sous la Fronde. [...] À deux reprises, en 1753 et en 1756, il faudra exiler, emprisonner, briser les parlementaires qui ne cèdent pas parce qu'ils se regardent comme chargés de défendre les "coutumes du royaume" parmi lesquelles les immunités fiscales des gens de robe sont les premières à leurs yeux. C'est donc, comme en politique extérieure, l'opposition qui s'attache au passé et le gouvernement qui lutte pour le progrès. On a ainsi de l'ancien régime une image fort différente de celle qui le représente comme le défenseur des privilèges fiscaux.



Elles [les lamentations] émanent des nombreuses catégories de personnes, presque toutes riches ou aisées, qui jusque-là échappaient à l'impôt ou ne payaient que ce qu'elles voulaient bien payer. [...] On comprend alors les difficultés que l'ancien régime a rencontrées au XVIIIè siècle pour mettre de l'ordre dans les finances. On comprend d'où est venu le déficit persistant. Les contemporains ont donné le change en accusant uniquement les prodigalités de la Cour. En pratique, le pouvoir, loin d'être absolu, était tenu en échec par les parlements dont l'opposition aux réformes financières paralysait le gouvernement et lui rendait impossible l'administration du royaume.



Voilà la phrase la plus importante du livre: "En pratique, le pouvoir, loin d'être absolu, était tenu en échec par les parlements dont l'opposition aux réformes financières paralysait le gouvernement et lui rendait impossible l'administration du royaume." Il y a là une idée cruciale. L'origine du conflit contre la couronne au XVIIIè qui a mené à la RF, ce n'est pas le mécontentement du peuple à l'égard de la couronne, mais le refus de la haute bourgeoisie représentée par les parlementaires, de contribuer aux impôts dont ils étaient exempts. Par la suite, les parlements et en particulier les parlements de province vont systématiquement s'opposer à des réformes fiscales vitales pour la nation, juste pour préserver l'intérêt des riches. De là le gouffre financier, l'hostilité progressive du peuple aux impôts injustes, lui-même manipulé par les parlements. On a là une vision bien différente du fondement de la RF que l'on assimile niaisement à la volonté de détruire l'absolutisme royal pour devenir libre. En vérité, ce sont les parlements qu'il aurait fallu détruire... on le voit à l'échec financier qui résulte de toute cette période anarchique.


Autre citation sur ce sujet:



À la fin du règne de Louis XV, il apparut que les parlements, en s'opposant aux changements, par conséquent aux réformes et au progrès, mettaient la monarchie dans l'impossibilité d'administrer, l'immobilisaient dans la routine, et par un attachement aveugle et intéressé aux coutumes, la menaient à une catastrophe, car il faudrait alors tout briser pour satisfaire aux besoins du temps. La résistance que la monarchie avait toujours rencontrée dans son oeuvre politique et administrative, résistance qui avait pris la forme féodale jusqu'au temps de Richelieu, prenait alors une forme juridique et légale, plus dangereuse peut-être, parce que, n'étant pas armée, elle n'avait pas le caractère évident et brutal d'une sédition.




Le pauvre Louis XVI n'était pas vraiment à la hauteur de son temps



Un passage sur la personne de Louis XVI:



Louis XVI, dit admirablement Sainte-Beuve, n’était qu’un homme de bien exposé sur un trône et s’y sentant mal à l’aise. Par une succession d’essais incomplets, non suivis, toujours interrompus, il irrita la fièvre publique et ne fit que la redoubler. » Car, ajoutait Sainte-Beuve, « le bien, pour être autre chose qu’un rêve, a besoin d’être organisé, et cette organisation a besoin d’une tête, ministre ou souverain… Cela manqua entièrement durant les quinze années d’essai et de tâtonnements accordées à Louis XVI. Les personnages, même les meilleurs, qu’il voulut se donner d’abord pour auxiliaires et collaborateurs dans son sincère amour du peuple étaient imbus des principes, des lumières sans doute, mais aussi, à un haut degré, des préjugés du siècle, dont le fond était une excessive confiance dans la nature humaine. » Il eût fallu un roi « pratique et prudent » et Louis XVI n’avait que de bonnes intentions, avec des idées confuses.


Philip-Marlowe
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le 13 nov. 2020

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