La préface de Raymond Barre le ferait presque passer pour un gros gauchiste en reconnaissant le travail de Marx et en avertissant des risques de corruption des intérêts privés pour la recherche intellectuelle en économie... Un début qui laisse déjà présager qu'en économie, il n'y a rien de bien nouveau sous le soleil.
L'introduction rejoint les propos de R Barre : attribuer à Marx la paternité du communisme est une erreur grossière, Marx est sans détour le père de l'idéologie, JAS enfonce aussi les propos de notre ancien ministre : séparer l'engagement idéologique de la recherche économique est une tâche très ardue ( ou pour le dire clairement, les économistes n'affichant pas leurs convictions idéologiques sont le plus souvent malhonnêtes).
La lecture bien que parfois émaillée de commentaire ironique est globalement assez âpre et qu'on recommandera donc plutôt à des aguerris de bibliothèques. Les discussions sont longues et dérivent souvent de leur objet premier.
L'antiquité et le moyen âge semblent des périodes bien pauvres concernant l'économie, attention comprenons-nous bien, ces périodes sont pauvres du point de vue de la recherche économique, si Aristote et quelques scolastiques s'interrogent sur la division du travail (sans vraiment remettre en cause l'esclavage soit dit en passant surtout chez les philosophes grecs), la réflexion ne va pas vraiment plus loin, à leur décharge, rappelons que tous ces penseurs faisaient preuve d'une grande polyvalence (homme de toutes les sciences, de philosophies, de morale, bref d'esprit...), autant dire qu'il était difficile de se restreindre à la seule discipline économique. En somme, si les commentaires sont fournis et approfondis, on partage un peu l'ennui de l'auteur pour la recherche économique sur l'ensemble de cette période.
La période pré-révolutionnaire laisse sur une faim d'une analyse déjà globalement connue : les monarques voulaient garder des empires monopolistiques pour plus facilement les contrôler (la plus fameuse étant la compagnie des indes orientales), sinon les corporations gardaient une main-mise sur l'artisanat, le pouvoir n'avait par conséquent que peu de chance d'être remis en cause.
Finalement, il est très troublant de constater que l'économie reste un sujet très secondaire d'étude jusqu'au 18ème siècle... à croire que ça n'intéressait guère les élites à une époque où la pauvreté était nettement plus importante.
Si donc les scolastiques d'un long Moyen-Âge ont à peine donné les contours de l'économie, ce seront sans grande surprise les administrateurs (ou leurs détracteurs pamphlétaires) qui commenceront à distiller les premières considérations dans cette discipline, Adam Smith n'étant dans cette évolution qu'un maillon parmi d'autres (JAS ne lui reconnait pas vraiment d'ailleurs d'évolution mais juste l'homme qui aura le plus admirablement synthétisé les idées de son temps dans ce nouveau domaine). Il faudra attendre donc globalement cette période pour voir les premières balances de paiement...
JAS s'attarde assez longuement sur les physiocrates, parmi les premiers libéraux, sans réellement justifier leurs idées.
Que ce soit les pysiocrates ou Gladstone en Angleterre, il est troublant de voir l'existence et la puissance des idées libérales dès le 18 19ième siècle alors qu'on peut nous présenter parfois le libéralisme comme une invention moderne de Friedman ou de Hayek notamment.
Certains chapitres sont très bavards voire complètement inutiles pour la réflexion économique (le paysage intellectuel par exemple), mais ils nourrissent agréablement l'esprit.
Il faut donc attendre environ la barre des 700 pages avant de pouvoir commencer à parler d'économie, mais on reste dans une théorie très abstraite, presque de la philosophie sur la nature humaine de l'avidité.
Les considérations malthusiennes paraissent très obsolètes à l'heure où les matières premières sont susceptibles de manquer et où le réchauffement climatique menace l'intégrité de notre civilisation (profitons-en pour rappeler que le problème n'est pas la surpopulation, mais la surpopulation de bourgeois avec voitures et régime carnée qui alimentent principalement le réchauffement climatique).
La théorie fait aussi très mal car quelques exemples suffisent à voir que l'offre et la demande ne suffisent pas pour expliquer la valeur ; les cours du pétrole ou l'iphone suffisent pour s'en convaincre, quand bien même, on tente de ramener cette dernière au travail autant que possible.
Certains débats qu'on attendait avec impatience sont donc trop légèrement traités (celui sur les cycles de la vie capitaliste) et d'autres comme dit plus haut sont certes intéressants (les taux d'intérêts doivent-ils être égaux au rendement de l'investissement?) mais ne sont pas d'un grand secours pour les "problèmes" que nous rencontrons de nos jours.
En effet, cette histoire est là pour nous convaincre que les crises que nous rencontrons n'ont rien de nouveau, mais que nos sociétés ont largement pu les surmonter sans vraiment recourir à la doctrine économique.
En conclusion, si vous désirez un ouvrage traitant comme son nom l'indique de l'histoire de l'économie et même surtout des économistes qui ont marqué cette discipline jusqu'en 1950, Shumpeter enrichira avec assiduité votre culture, en revanche, il ne vous sera pas d'un grand secours pour résoudre les problèmes les plus contemporains.