Rappel contextuel : la guerre du Péloponnèse (-431 à -404) intervient environ 50 ans après la tentative d’invasion de la Grèce par l’empire Perse, laquelle fut à deux reprises stoppée aux abords d'Athènes : d'abord lors de la bataille de Marathon (concluant la 1ère guerre médique de -492 à -490), puis lors de la bataille de Salamine (marquant un tournant dans la 2nd guerre médique de -480 à -479).
À partir de là, Athènes va consolider son propre empire, en particulier en développant sa flotte et en s'alliant avec des cités plus ou moins consentantes, réunies dans la ligue de Délos, période qui marquera l'apogée de la cité. Inquiètes de cette puissance impérialiste, plusieurs autres cités, réunies dans la ligue du Péloponnèse, menée par Sparte, vont dès lors entrer en guerre pour la contrer, voire idéalement la remplacer.
Sur la forme : le récit de Thucydide (1) est descriptif et factuel, ce qui peut de prime abord rebuter, a fortiori face à une avalanche de noms généralement inconnus (Ex : régions, îles, cités, personnages). Cette présentation a néanmoins l'avantage d'être claire, rigoureuse et axée sur la recherche de la vérité, à rebours du lyrisme de l’Iliade ou de l'Odyssée, sans aucun parti pris, et par ailleurs riche d'enseignements, notamment au travers des nombreux discours que l'auteur restitue.
Sur le fond : loin d'être purement descriptif, le récit de Thucydide constitue un condensé d'histoire et de géopolitique, exposé avec discernement. Il permet en particulier :
-> De mieux connaître cette époque et les personnages historiques qui y sont associés, comme Périclès, Brasidas, Nicias, Aristophane, Alcibiade, voire Socrate (qui participa à la guerre sans être encore connu)
-> De s'éloigner de la naïveté qui accompagne généralement l'Antiquité grecque, presque toujours synonyme de vertu morale, alors que les différents belligérants n'hésitaient pas à raser des cités, décimer des populations (notamment en âge de porter les armes) ou réduire les survivants en esclavage. Ce fut notamment le cas de la petite île de Mélos (2), dont la population décida de rester neutre, et fut en conséquence pour partie exécutée, pour partie réduite en esclavage par Athènes
-> De s'immerger dans les jeux politiques, sur fond de retournements d'alliances, parfois soudains et successifs, entre cités ou au sein d'une même cité. Les partisans défaits de tel parti devaient parfois s'exiler ou se réfugier dans la précipitation sur l'acropole (généralement fortifiée) de leur cité, situation qui pouvait se terminer par un suicide collectif ou par une tentative de sortie désespérée. Dans un tel contexte, les démagogues (Ex : Cléon, à Athènes) (3) ou les apprentis tyrans n'étaient évidemment pas rares, tandis que la fidélité à son camp pouvait être toute relative, d'autant que l'immense empire Perse continuait d'observer la situation avec intérêt
-> De relever le caractère étonnamment actuel du récit, notamment dans son opposition entre partis oligarchiques (plutôt promus par Sparte) et démocratiques (plutôt promus par Athènes), voire dans leur mélange (Ex : gouvernement des Cinq-Mille adopté par Athènes vers la fin de la guerre), aucun n'étant par nature idéal. Certaines des rares considérations personnelles de Thucydide sont d’ailleurs résolument modernes, entre autres lorsqu’il indique que, face à l’hystérie collective, les voix raisonnables passent pour lâches, tandis que les plus excessives suscitent l’adhésion
Ce dernier point constitue à mon sens l'apport le plus précieux de l’œuvre, dans la mesure où les mécanismes qui y sont décrits sont applicables en tout temps et en tout lieu : au-delà de la Grèce antique, l'auteur évoque la nature humaine et la condition des empires, et notamment leur tendance à la domination. Cela transparait dans l'instabilité des traités de paix, les alliances offensives ou défensives, le droit du plus fort, et les mouvements des 3 ensembles en présence : au temps de la guerre du Péloponnèse, l'empire Perse avait déjà cherché à conquérir la Grèce et maintenait des contacts avec les deux camps ; Athènes exerçait pour sa part une influence sur une grande partie du monde hellénique et cherchait encore à s'étendre (d'où la désastreuse campagne de Sicile) ; tandis que Sparte, loin de vouloir libérer les autres cités du joug athénien, ambitionnait simplement de prendre la place de sa rivale.
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(1) Rappelons que Thucydide a lui-même participé à la guerre en qualité de stratège athénien, avant d'être exilé suite à la perte d'Amphipolis, qui brisa sa carrière politique. Cela ne l'empêchera pas de faire preuve d'une grande impartialité, y compris lorsqu'il narre cet évènement, ni d'admirer le général spartiate Brasidas, pourtant à l'origine de sa défaite.
(2) Pour l'anecdote, c'est sur cet île, dénommée Mélos ou Milos, que sera retrouvée la célèbre Vénus de Milo (quoique datant d'une époque postérieure au récit).
(3) Pour l’anecdote toujours, dans la saga Game of Thrones, le nom de Cléon est d’ailleurs donné à un personnage tyrannique s’étant autoproclamé empereur d’une cité.