Dans tous les sens
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Étrange petit livre, qui ne respecterait pas son titre mais tient les promesses de ses ambitions… De quelles ambitions, d’ailleurs ? « On veut tout, on veut les deux : les détails et les vagues. Si on fragmentait, on perdrait, on perdrait sa partie folle, sa mécanique infernale. Si on suivait la vague, on aplatirait tout. Alors on veut les deux, on veut les deux » (p. 99 en « Folio »).
Bardée d’allusions littéraires – encore en ai-je probablement raté –, cette Histoire de la littérature récente n’est ni tout à fait un essai de critique littéraire, ni un manuel d’écriture créative, ni un récit, encore moins un documentaire, un recueil de poésie ou une pièce de théâtre… Alors ?
Pour mieux donner une idée au futur lecteur, on trouve dans ce livre beaucoup de passages tels que celui-ci (p. 68) : « Qu’est-ce que c’est, cette histoire de je veux écrire ? C’est une maladie. Mais pourquoi ? D’où ça vous vient ? On vous a dit que ça ne guérissait pas. Et puis surtout n’oubliez pas que les choses tournent dans l’autre sens que prévu. Si vous le faites vraiment à fond, si vous mettez votre peau sur la table, vous en arriverez au point où vous ne pourrez presque plus… le faire. Pas par impuissance, mais parce qu’on n’écrit pas. On finit par le comprendre. » Une grande partie de l’intérêt de cette Histoire vient sans doute de ce qu’elle est écrite contre l’écriture ; elle est faite d’une désillusion sans amertume – ce qui est plus justifiable que l’inverse –, tissée d’une absurdité qui ne détruirait rien.
On y trouve, pêle-mêle, des paradoxes (« Ça ne peut plus durer, cette histoire de fin », p. 24), des aphorismes (« On n’est jamais si plein d’énergie et de mansuétude qu’à la mort d’un ennemi », p. 26), et beaucoup de recul sur ce qu’on appelle histoire littéraire, et qui n’est peut-être après tout qu’un perpétuel recommencement : « À force, le camp adverse est devenu l’Académie. Les différentes nouvelles vagues terminent au supermarché et les laissés-pour-compte repartent à l’attaque : ils reviennent, on se croirait dans une comédie musicale : et l’Humain ? et l’Humain là-dedans, vous nous l’avez pris, c’est notre Humain à nous ! Et nos poèmes avec nos vraies émotions, et nos vies, et la transcendance, et ma grand-mère ! et on ressort les mégaphones. Et voilà que ça regueule » (p. 50).
Toujours, on voit ce que l’auteur veut dire : les questions que formalise l’auteur sont des questions qui se posent à tout écrivain, même – surtout ? – velléitaire. L’un des chapitres de cette Histoire de la littérature récente s’intitule « Cire perdue », et tout le livre peut avoir été construit selon ce procédé : la littérature comme la trace pérenne d’un réel qui n’existe plus et sans lequel elle n’existerait pourtant pas. « Quelquefois la langue simple et directe que nous ambitionnons tous d’avoir – dans un désir légitime de se faire comprendre – ne suffit pas à rendre une sensation spéciale. Et, souvent, une légère obscurité est plus fidèle à cette sensation, alors que c’est justement un puissant sentiment de clarté qui vous envahit. C’est le problème souvent des écrivains, ils ont une bonne petite illumination, tout paraît concorder, c’est un vrai truc de détective divin, et crac, voilà qu’ils nous font une image obscure. C’est idiot. C’est le contraire de ce qu’il fallait faire » (p. 135).
Le propos d’un odradek tel que ce livre est peut-être réductible à Ça ne sert à rien, mais il faut le faire quand même, mais sans se faire d’illusions. La littérature serait quelque chose comme la plus fidèle des tromperies. En attendant, voilà qui est de bien meilleur conseil et bien plus intelligent que toutes les leçons de vie qu’on voudra.
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Créée
le 28 mai 2018
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