Histoire des cheveux par MarianneL
Deuxième volume d’une trilogie après Histoire des larmes, paru en 2010, c’est le parcours étrange d’un homme hanté par ses cheveux, par leur présence physique, leur allure, leur coupe. Ce récit est l’histoire de la perte, et chaque coupe de cheveux semble être une petite mort : aller chez le coiffeur, quand on franchit la porte d’un salon inconnu, s’apparente à un acte suicidaire. Pourtant le narrateur continue de le faire, habité par l’espoir, ou l’esprit d’aventure.
Comme Alan Pauls, cet homme a grandi à Buenos Aires dans les années 1970. Dans une Argentine alors agitée de pulsions révolutionnaires, qui rejette la dictature, la violence et l’exploitation, l’adolescent de douze ans aux cheveux blonds et raides adopte une coupe afro comme acte de rébellion. Son camarade Monti, son meilleur ami, a opté pour la même jungle de bouclettes mais, quelques mois plus tard, arrêté pour un vol de voiture, il passe au tribunal et son crâne est rasé.
« Se raser le crâne. Et pourquoi pas ? Il a souvent pensé que rien d’autre ne se rapproche plus de la solution finale. Se raser le crâne et faire d’une pierre deux coups : en finir une bonne fois pour toutes avec les hésitations, le désir insatisfait, l’espoir de toucher du doigt le style, le genre de coupe spéciale qu’il suppose lui être destinés, enterrer pour toujours – pour la modeste éternité que mettent les cheveux à revivre, à pousser, à revenir à la charge avec leur lot de complications – le rêve de l’unique dans cette espèce d’étendue désertique, anonyme, indifférente, à laquelle se réduit la tête une fois balayée par la tondeuse, et accéder du même coup à ce trésor que représente le cuir chevelu, si dissimulé et superficiel à la fois, ou une série de raies et d’entailles semblent décrire un dessin secret, ainsi qu’il le découvre lorsque Monti passe menotté devant lui et qu’il en profite pour examiner la surface comme moquettée de son crâne. »
Bien des années plus tard, toujours incertain et obsédé par l’allure de ses cheveux, le narrateur tombe dans un salon sur Celso, le coiffeur absolu. La coupe semble durer un temps infini, à tel point qu’il imagine ses cheveux blanchir tandis qu’on les lui coupe. Mais à la fin pas de doute, Celso est un génie.
Dans ce récit comique, par ses personnages excentriques tous un peu déjantés, la mort est toujours là, tapie derrière chaque mèche, au détour de chaque phrase, comme attendant son heure. À travers cette rencontre avec un coiffeur génial et avec Monti, qu’il continue de croiser par hasard au fil des années, c’est l’histoire de l’Argentine qui affleure tout au long du récit, ses épisodes noirs et de destruction, mais aussi la décadence du corps avec les années et la maladie.
Moins riche et moins profond que l’Histoire de l’argent, ce roman d’une légèreté funèbre prend par ses personnages incertains des accents de Bolaño. Alan Pauls est un vrai magicien des sentiments ténus, dans lesquels la grande Histoire vient se refléter.
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