Coup de coeur
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Histoire du fils, Marie-Hélène Lafon, Buchet- Chastel, Prix Renaudot, 2020
C'est sans doute le plus beau livre de la rentrée littéraire 2020. Un livre de très grande tenue. Tenue du style et de la langue que Marie-Hélène Lafon nous offre en une douzaine de courts chapitres, autour d'autant de dates qui marquent l'histoire de deux familles sur un siècle, avec ses drames et ses secrets, ses blessures tues, ses évolutions et ses brisures au fil du temps qui passe. Cette histoire de deux familles, elle les noue ensemble, dans le désordre, mêlant les chronologies, façon puzzle. Dommage que le titre de ce roman étrique un peu le propos, qui est beaucoup plus ample que l'histoire d'un fils à la recherche d'un père inconnu, le rétrécisse pour crocheter une obsession d'époque sur la quête des origines, à laquelle je ne crois guère et qui généralement ne me passionne pas.
Car, l'intérêt et l'émotion que suscite ce livre ne tiennent pas à la curiosité généalogique du jeune André né, hors mariage, d'une mère, Gabrielle, qui a quitté son Cantal natal pour aller vivre à Paris dans les années 20, après s'être amourachée d'un lycéen pensionnaire dans le lycée où elle était infirmière, avant de confier le fruit du péché (tous sauf véniel en ces temps) à sa sœur Hélène, qui vit dans le Lot. C'est cette séduction par delà les seize ans de différence d'âge ( « Paul est un jeune chien un sauvage un rusé ; il fait sa cour, il butine, il coule des regards de velours, il s'aiguise, il s'affûte, il a vite appris ; il plante ses crocs, il sera capable de tout, il ne sera pas recommandable ») et l'entêtante liberté de cette femme qui aime, sans s'illusionner sur la suite ( « Elle n'aime ni les doux, ni les gentils ; il lui faut la férule, les grands airs ; elle se voue aux flamboyants, aux flambeurs, aux fulgurants, aux ardents qui brûlent tout ce qu'ils touchent »). La force de ce livre n'est pas, à mes yeux, la quête du fils, elle est tout entière enfermée dans la puissante spontanéité des sens, la perception intuitive des différences sociales (les gens d'Aurillac qui appellent ceux du haut pays « les gabatch, autrement dit les sauvages ; un mot craché, on l'écrit à peine et on le prononce à l'arrache »), la gratuité des tempéraments ou des parcours que distribue la vie sur les hommes et les femmes, sans considération pour l'époque ou les latitudes – on a l'impression que la vie tire au sort les qualités humaines pour les épandre comme elle l'entend sur la tête de qui elle veut, sans explication rationnelle, familiale, sociale ou géographique (la sœur Hélène et son époux Léon, qui ont élevé André, sont un merveilleux portait de couple aimant, généreux, heureux et bienveillant).
Au fond, le propos du livre est, peut-être, l'inverse de ce que son titre annonce. La généalogie, même inconnue, clandestine ou occulte ne fait pas les hommes. Ce sont les hommes qui font la vie.
Sur les photos, Marie-Hélène Lafon a un drôle de regard, rond, perplexe, d'une curiosité sans illusion, en attente et las à la fois. Un regard d'oiseau blessé qui en a beaucoup vu. Qui paraît interpeller en disant « Etonnez-moi » et sait que rien dans la vie n'est étonnant.
Marie-Hélène Lafon, professeur de latin par ailleurs – et qui ne doit pas être commode...- écrit à propos d'une vieille dame que ses enfants promènent en voiture « Elle a toujours aimé circuler, être conduite, commenter les paysages, l'allure des maisons, et ce que l'on devine de la vie des gens ».
Cette phrase est tout le livre : « Ce que l'on devine de la vie des gens ». Cette exploration placide et pénétrante à la fois, aux creux de la vie mais exempte de tout jugement, dans une langue ramassée, tenue, puissante, est une merveille.
En dépit de toutes les critiques auxquelles le jury Renaudot s'expose, le prix qu'il décerne est toujours une vraie distinction littéraire. Et cette année, incontestablement la plus justifiée.
Créée
le 16 déc. 2020
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