INTRODUCTION

P. 13, l’auteur cite quelques « affrontements titanesques », El-Alamein, Midway, Stalingrad, Iwo Jima, Pearl Harbor, Monte Cassino. Outre que les deux batailles d’El-Alamein me semblent engager beaucoup moins d’hommes que d’autres (même si elles sont effectivement décisives), la liste oublie les gigantesques affrontements en Chine. Wuhan, en 1938, mobilise 1, 350 millions d’hommes par exemple. Les fronts chinois sont souvent omis. L’auteur leur fera un sort au chapitre 8.

P.13, il décrit des combats militaires « confinés au début ou à la fin du conflit ». Ça me semble discutable sur le front d’Europe de l’Est : Kiev 1941, Kharkhov 1942, Stalingrad 1942/1943, Koursk 1943…

P.14, Wieviorka décrit la famine comme « [un fléau] d’un autre siècle » réapparu. C’est vrai pour les Pays-Bas, mais la famine n’avait pas disparu partout. L’Ukraine et le Kazakhstan en souffrirent durant les années 1930 par exemple.

P.14, l’auteur déclare que le conflit ne « modifia qu’à la marge les frontières nationales et n’encouragea guère la naissance de nouveaux États ». C’est discutable. D’ailleurs, il souligne, p. 15, les mouvements de décolonisation.

P.15, à propos des déplacements de population, il déclare qu’à la différence de 1919, ils rendirent les « pays ethniquement homogènes ». C’est aussi discutable. Il y a eu des millions de déplacés en URSS, peut-on parler de pays ethniquement homogène ? Idem pour la Chine.

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CHAPITRE 1, « Les causes de la Seconde Guerre mondiale »

Wieviorka s’attache aux causes de la 2GM en suivant sa ligne : elle commence par l’invasion de la Pologne en 1939. Là aussi, j’ai un regret, car La Guerre monde (dir. Aglan, Frank, 2015) repoussait, à raison, les bornes chronologiques du conflit. Là encore, il faudra lire le chapitre 8.

Surtout, l’auteur insiste très fortement sur la marche à la guerre. Ça pourrait presque verser dans la téléologie s’il ne le faisait pas avec brio. Par exemple, il ne dit mot, pas son sujet certes, des projets d’union de l’Europe qui pullulent dans les années 1920. Pas une fois le nom d’Aristide Briand est cité par exemple. Alors que même au-delà de la question de l’unité européenne, la volonté de construire une paix durable a été moteur de son action.

À partir de la page 29, l’auteur insiste sur « l’aboulie » de la France et du Royaume-Uni. Il l’explique en partie par le fait qu’il s’agit de sociétés « imbibées par le pacifisme ». C’est évidemment exact, mais il ne dit mot sur le fait que ce sont aussi des sociétés où les sympathies fascistes sont déjà fortes dans les années 1930, surtout en France (bien que minoritaires évidemment). La pusillanimité de la position française dans la Guerre d’Espagne s’explique en partie par ça. Il insiste sur cette apathie française en mentionnant la diminution du budget consacré aux armées (p.32) de « 32 % entre 1931 et 1935 ». Le choix de ces bornes chronologiques gomme l’effort conséquent de réarmement décidé à partir de 1936 [Garraud, 2005] qu’il ne mentionne pas.

Pas le sujet de l’auteur, je ne saurais donc lui en tenir grief, mais il évoque rapidement la Cyrénaïque comme colonie italienne p.39 sans mentionner l’effroyable bilan de la répression des révoltes entre 29 et 33 : au moins 40 000 morts. [Di Sante, 2008]

Il fait de la Turquie (p.22) une puissance « non-révisionniste durant les années 1930 » par opposition à l’Allemagne. C’est vrai. Mais en grande partie parce que la révision du traité de Sèvres a été partiellement obtenue en 1923 à Lausanne par la force.

Les reproches sur ce premier chapitre très synthétique ne peuvent cependant occulter que l’auteur répond parfaitement à son objectif et montre bien l’engrenage qui mène à la déflagration en Europe.

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CHAPITRE 2, « L’Europe s’embrase »

Très clair et très synthétique (c’est une des forces de Wieviorka). Un bémol, le qualificatif d’ « incidents frontaliers » pour les affrontements soviétio-japonais de 1938/1939 (p.51). Deux batailles ! Celle du Lac Khassan, 43 000 hommes, 5 000 pertes (tués, blessés, disparus) et surtout Khalkhin Gol (avec les troupes mongoles en plus) qui ne méritent pas le qualificatif d’incident. Cette dernière mobilise en 1939, 132 000 hommes pour 45 500 pertes (t, b, d).

Un autre élément m’a fait tiquer : « le ci-devant socialiste Marcel Déat […] 1939 » (p.63) À ce moment-là, il est “néo-socialiste”, en rupture avec le marxisme et résolument anti-communiste. Socialiste donc, oui, mais un socialiste en rupture avec les autres socialistes français.

Mais vraiment, j’envie la clarté avec laquelle Olivier Wieviorka expose ces premiers instants de la guerre en Europe.

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CHAPITRE 3, « Stratégies périphériques »

Solide chapitre 3 avec – encore ! – une vision synthétique formidable.

P. 80, aux bombardements aériens sur des civils évoqués (Guernica 1937, Varsovie), il aurait pu ajouter ceux du Rif par l’armée espagnole en 1922. Il aurait pu ajouter aussi aux dissensions pré-guerre entre la Finlande et la Russie, la guerre civile finlandaise. (P. 82)

Mais je pinaille. Parmi les grandes qualités de ce chapitre : les chiffres. Ceux des enfants, déplacés au Royaume-Uni, qui furent victimes d’abus par ex. (P.83)

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CHAPITRE 4, « L’étrange défaite ? »

Pas ou peu d’évocation des plans suisses de l’armée allemande et de la résistance énergique que lui opposèrent les forces helvètes. Je renvoie à l’article de Jean-Christophe Piot pour Slate à ce sujet. https://www.slate.fr/.../quand-armee-suisse-faisait...

Mais c’est un très petit manque. Plus gênant à mon sens, l’absence de détails du vote sur les pleins pouvoirs. Dans le contexte actuel d’accusation univoque de la gauche et de tentatives de dédouanement de la droite à ce propos, ça manque cruellement.

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CHAPITRE 5, « Abattre l’Angleterre »

Il ne mentionne pas l’occupation allemande des îles anglo-normandes, mais à part ça, c’est vraiment un chapitre très solide. À ce propos durant l’occupation, deux fils Twitter :

• https://twitter.com/Loutxch/status/1769419232079478911

• https://twitter.com/Arthefran/status/1769508245666734532

Un bémol cependant : l’auteur a volontiers recours à un lexique religieux dans son livre. Ça donne une tonalité apocalyptique, millénariste que je trouve superfétatoire. Par exemple, p. 147 « Berchtesgaden – ce Golgotha où tant d’abandons avaient été extorqués ».

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CHAPITRE 6, « La guerre du désert, acte I (septembre 1940 – juin 1942) »

P. 158, Wieviorka évite d’utiliser le terme de génocide et parle de la « brutale répression » des Herreros en 1904 (oubliant les Namas au passage). C’est dommage.

À part ça, ce chapitre a une immense qualité : les pages 179 à 183 consacrées au « facteur moral » de la guerre dans le désert de l’Afrique du nord-est sont brillantes ! C’est la vie au quotidien du soldat qui est évoquée.

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CHAPITRE 7, « Chronique d’un désastre annoncé : Barbarossa (juin 1941 – avril 1942) »

Le chapitre 7 sur Barbarossa (qui s’appuie grandement sur le grand livre de Lopez et Otkhmezuri) pêche un peu par téléologisme. En témoigne son titre « Chronique d’un désastre annoncé ».

Sur le total des forces engagées dans l’opération (p. 198), l’auteur ne dit mot des Italiens, Hongrois et Slovaques (puis des Espagnols, avec un peu de Portugais, à partir de septembre 1941). C’est pourtant plus de 200 000 hommes supplémentaires.

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CHAPITRE 8, « Préludes à l’embrasement en Asie (1931 – décembre 1941) »

Il aurait pu être placé en tête du livre. O. Wieviorka revient préalablement sur l’impérialisme japonais avant la Première Guerre mondiale (p. 223). Il commence avec l’annexion de Taïwan en 1895, on pourrait remonter aux Ryukyu avec la guerre de 1872/1878.

P. 225, il explique le rejet de l’adoption du principe d’égalité des races par W. Wilson par la crainte de « créer un précédent aux États-Unis, alors régis par une kyrielle de mesures racistes envers les Noirs ». Il pouvait utiliser aussi le mot de ségrégation et ça fait de Wilson quelqu’un qui subirait la situation, pas sûr que lui-même ne fut pas raciste…

Mais là où le chapitre est bon, c’est que l’auteur n’expose pas seulement les attitudes japonaises. Il consacre aussi des pages à l’agentivité des Chinois et aux préoccupations états-uniennes. Quelques éléments sur l’attitude britannique pré-conflit auraient été les bienvenus.

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CHAPITRE 9, « À la conquête de l’Extrême-Orient (décembre 1941 – mars 1942) »

Il est excellent. Il débute par de longues pages détaillant presque heure par heure Pearl Harbor. Un regret, Wieviorka mentionne Kenneth Taylor et George Welch comme héros du jour, mais oublie Doris Miller.

Autre regret, l’absence d’éléments sur l’attitude de la Thaïlande et sur les affrontements au Timor impliquant les soldats portugais.

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CHAPITRE 10, « Une seconde guerre mondiale ? »

L’auteur y discute le concept de guerre mondiale. Si son argumentation est convaincante pour faire de 1941 la date pivot, et rejeter 1937 donc, je peine à comprendre pourquoi il a donc choisi de commencer son livre en 1939 ! Ce chapitre aurait pu être le premier du livre. De fait, beaucoup des points que j’avais notés comme manquant dans les chap. précédents y figurent : les Italiens en URSS et la Division bleue (chap. 7), le Timor envahi (chap. 9), la Suisse se défendant face à l’All. (Chap. 4)

Autre réserve : certes, la dimension mondiale du conflit est patente en 1941 pour les anglo-américains, mais si les Français, Belges et Néerlandais en exil ont pu continuer la lutte (bien que minoritaires), c’est parce que cette dimension mondiale était présente (via les colonies).

Sur la question des pays et territoires impliqués, il ne mentionne pas le Népal très tôt en guerre, mais il ne fait pas plus de cas de l’Islande, du Tannou-Touva, du Groenland ou des Féroé. C’est mineur certes. Il ne mentionne pas non plus la compromission du Liechtenstein alors qu’une ou deux lignes dans la partie sur la Suisse aurait pu convenir. Rien sur le Yémen, rare pays resté entièrement neutre, sans masse de volontaires engagés donc (contrairement à l’Espagne ou l’Irlande par ex.) durant la guerre. Pourtant, ce n’était pas évident avec le Somaliland britannique et l’Éthiopie italienne à proximité ! Pour la manière dont les Juifs yéménites percevaient la guerre : article de Menashé Anzi dans le 2016/2 n°205 de la Revue d’histoire de la Shoah.

Mais j’en fais grâce à l’auteur : il privilégie à raison la clarté de l’argumentation et de l’exposé à l’exhaustivité.

Les pages consacrées à la Suisse, l’Irlande, la Turquie et la Suède sont pour moi les plus intéressantes de ce chapitre.

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CHAPITRE 11, « Imperium »

P. 308, « Certes, ni les États-Unis ni l’Union soviétique ne soutenaient, dans son principe, l’impérialisme. » Les Philippines (voire les protectorats sur l’Islande et le Groenland motivés par la guerre) nuancent fortement ce propos pour les États-Unis. Quant à l’URSS, c’est encore plus discutable. Il y a eu un véritable impérialisme russe (il existe toujours d’ailleurs), les Baltes, Finlandais, Polonais… peuvent en dire quelque chose.

P. 309 « le vainqueur de Verdun ne régnait cependant que sur la zone sud du pays » Là aussi, à nuancer. Nombre de ministères restèrent à Paris et leurs fonctionnaires obéirent à Pétain.

P. 312, est évoquée enfin la Thaïlande comme alliée du Japon (chap. 9). Mais O. Wieviorka oublie de mentionner qu’elle a combattu la France (vichyste) en Indochine.

P. 321 et suivantes, il évoque le million de morts vietnamiens de la famine de 1944-1945. Mais, il ne dit mot dans ce chapitre de la famine de 1943 au Bengale. Il faudra attendre le chapitre suivant et la page 367 pour qu’elle soit citée (et encore, sans bilan !, entre 2 et 4 millions).

P. 333, il parle des esclaves sexuelles coréennes. Je me suis noté que je devais relire quelques pages du Général de l’armée morte de Kadaré ; de mémoire, il y est aussi question des Albanaises dans le même cas.

Dans les pages qui évoquent les projets de colonisation allemande, il ne parle pas des Lebensborn. Je renvoie donc aux écrits de Boris Thiolay.

Une absence notable dans ce chapitre : les relations entre l’Italie et son empire. J’aurais aimé en savoir plus.

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CHAPITRE 12, « Brèches »

Un usage du masculin générique particulier p. 340 : « au point de guillotiner deux « faiseurs d’ange » » C’est exact sur le plan grammatical, puisque Désiré Pioge est des deux. Mais, c’est surprenant à la lecture.

Aux multiples internés du régime de Vichy morts en détention (p.341), il aurait pu ajouter les morts de la faim dans les asiles. Je renvoie à l’article de Bueltzingsloewen dans Vingtième siècle.

P. 342 sur Pétain « Bien qu’il n’éprouvât nulle inclination ni pour l’Allemagne ni pour le nazisme ». L’anti parlementarisme, l’anticommunisme, l’antisémitisme… le placent plus proche des nazis que de Blum ! Mais Wieviorka ne minimise en rien la saloperie qu’était Pétain.

P. 343, il va très vite sur la Croatie de Pavelic et ne mentionne nullement le camp de Jasenovac. C’est dommage. Faut dire que la biblio sur le sujet en français est affreusement datée (années 1960’s).

Il a de belles pages sur les tentatives l’instrumentalisation de l’islam par les nazis, mais n’évoque pas à ce moment-là la division SS Handschar justement à majorité de Bosniaques musulmans. Il en parle p. 357, mais sans évoquer cette particularité.

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CHAPITRE 13, « Premiers revers en Asie (mai 1942 – avril 1943) »

Pas grand chose à dire. Les pages sur Guadalcanal sont très solides. Allez, un bémol sur la forme : p. 386, « Aidée par les magics » (en italique dans le texte) sans pour autant indiquer ce dont il s’agit.

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CHAPITRE 14, « Stratégies alternatives (juin 1942 – septembre 1945) »

C’est TRÈS solide sur l’usage des sous-marins. Petit bémol, mais c’est un truc qu’on retrouve dans tous les bouquins parlant de combat naval, l’usage presque exclusif du tonnage pour évaluer les pertes. Idem, c’est hyper solide sur les bombardements et ça fait la part belle au tonnage. Mais les pages 404 à 405 sont brillantes. Comme pour le désert, Wieviorka y expose la réalité du soldat dans un équipage de bombardier. Au plus près des hommes.

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CHAPITRE 15, « Stalingrad »

Stalingrad au jour le jour donc. P. 427, la mention du nombre de morts dans les bombardements de la Luftwaffe à partir du 23 août permet de voir que le nombre de morts/tonne de bombes est bien supérieur à celui des bombardements britanniques sur le Reich en 1942. Dans le premier cas, on est à 5.71 morts par tonne et dans le second à un tué pour 7 tonnes !

Si j’aurais aimé lire quelques pages sur la manière dont les soldats roumains, hongrois ou italiens ont vécu la bataille, c’est autre chose qui m’étonne par son absence : pas une seule fois le nom de Khrouchtchev est cité ! Ne serait-ce que pour minorer son rôle !

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CHAPITRE 16, « La guerre du désert, acte II (juillet 1942 – mai 1943) »

Encore de belles pages sur le sujet. On sent bien que c’est l’un des sujets de prédilection de Wieviorka. Un seul petit regret : p. 468, il évoque en passant l’expédition de Dakar de 1940, mais il n’a jamais développé ce point auparavant. C’est quelque part représentatif d’une limite de son ouvrage : ça se veut une synthèse à la fois complète et accessible, mais, parfois, l’auteur y écrit comme si tout était déjà maîtrisé et connu de son lecteur.

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CHAPITRE 17, « Koursk »

Rien à dire. Chapitre exemplaire. Très mesuré sur tous les points évoqués. De belles pages sur le soutien matériel US à l’URSS notamment.

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CHAPITRE 18, « Une guerre de race ? »

Nouveau chapitre faisant le point sur des concepts. Ce sont les plus intéressants à mon avis, mais aussi ceux où il y a potentiellement le plus à dire.

P. 513, il écrit sur la conception impérialiste japonaise faisant des autres peuples asiatiques des enfants dont les Japonais seraient les parents, mais il ne tisse pas de liens possibles avec les justifications impérialistes occidentales.

Évidemment les pages sur la Shoah sont excellentes et impeccables. Une surprise : l’absence de mention du Brésil comme lieu d’accueil des réfugiés, alors qu’il est fait mention de la République dominicaine (p. 555).

Les pages consacrées aux Roms et Sintis me laissent plus dubitatif. Si sur la Shoah, il a recours à des citations de plusieurs auteurs (Primo Levi, Elie Wiesel notamment), il n’en est pas de même ici. Les poèmes de Ceija Stojka auraient pu être utilisés. En outre, s’il mentionne l’internement de ces populations en France, il ne dit rien sur le fait qu’il s’est prolongé au-delà de la guerre. Enfin, et surtout, p. 561, il écrit « sans que l’on puisse pour autant parler de génocide ». Là, j’ai énormément de mal ! Parce que ce terme est utilisé, non sans raison, par des instances directement impliquées dans la connaissance de ces phénomènes :

https://encyclopedia.ushmm.org/.../genocide-of-european...

Sur cette dénégation, voir l’article de Lise Foisneau, « Le génocide des « Nomades » : figure du déni », in L’Homme 2024/1 (n° 249), pages 113 à 130 – https://www.cairn.info/revue-l-homme-2024-1-page-113.htm

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CHAPITRE 19 « Subir ou agir ? »

À nouveau un long chapitre « notionnel » (54 pages contre 31 pour le chapitre 12 « Brèches » par exemple).

P. 564, l’auteur écrit que la Première guerre mondiale visait « la seule conquête de territoires » à la différence de la deuxième qui « ambitionna […] d’anéantir au nom de la race des millions d’individus ». Oui, mais. Mais les Arméniens. Après l’absence du mot « génocide » pour qualifier les massacres des Herreros et Namas, après la dénégation du terme pour celui des Roms et Sintis d’Europe, ça fait beaucoup. Si je partage la volonté de Wieviorka de souligner la singularité du génocide des Juifs d’Europe et de la Seconde guerre mondiale, ça me gêne profondément que ça le conduise à avoir de telles réserves.

P. 573, une utilisation pour le moins étrange du masculin. « Bien des Canadiens jugeaient par ailleurs que le port de l’uniforme constituait une menace morale, parce qu’il blessait la féminité et que l’armée attirait les déviants sexuels (prostituées ou lesbiennes) ».

P. 584, il oppose le Japon qui « [ne misa guère] sur les distractions pour égayer la population » à l’Allemagne. Pour cette dernière, comme pour le Royaume-Uni et les États-Unis quelques pages auparavant, il écrit plusieurs lignes sur le poids du cinéma. C’est dommage de ne pas avoir fait la même chose pour le cinéma japonais. Certes, une grande part des productions exaltent le nationalisme et le sens du sacrifice (Max Tessier intitule son chapitre sur la période 1936-1945 « La période « nationale » et militariste – Le Cinéma japonais, 2018), mais ce n’est pas l’ensemble de la production qui est « propagandiste ». On peut ainsi citer le merveilleux Il était un père de Ozu Yasujiro réalisé en 1942. Surtout, la production cinématographique est très conséquente durant les années de guerre. J’ai fait quelques recherches : sur un échantillon de seize cinéastes, on peut dénombrer 133 films réalisés entre 1937 et 1945 ; une moyenne de plus de 14 films par an dans les salles japonaises ! Nuançons tout de même, le pic de production est atteint en 1939 avec 25 films et seulement 6 films en 1944 ; si on ne peut se « fier » entièrement à ces seuls chiffres en raison de la taille de l’échantillon, c’est sans doute assez représentatif. Dans le détail, la bascule intervient en 1941-1942 puique 100 des 133 films recensés sont réalisés entre 1937 et 1941 inclus, ce qui semble valider – au moins partiellement – les propos d’Olivier Wieviorka. Parmi ces seize cinéastes, j’en distingue six qui sont déjà à ce moment-là des noms majeurs ou le deviendront après-guerre : Inagaki (23 films entre 1937 et 1945) ; Mizoguchi (10 entre 37 et 41 et en 44-45) ; Imai (9 films entre 1939 et 1945) ; Kinugasa (8 films sur toute la période) ; Kurosawa (4 films au début de sa carrière entre 1943-1945) et Ozu (un film en 1937, un autre en 1941 et un, donc, en 1942).

Toujours sur le cinéma, il est dommage qu’il ne parle pas du cinéma français « allemand » de la Continentale.

Toutes les pages dédiées aux résistances (de 593 à 617) sont impeccables. Néanmoins, j’aurais aimé qu’il consacre plus d’une page et demie sur ce total aux résistances asiatiques ; le primat donné à l’Europe s’entend, mais c’est dommage.

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CHAPITRE 20, « La campagne d’Italie (10 juillet 1942 – 4 juin 1944) »

Excellent chapitre qui fait le point sur toutes les options, sur tous les égarements stratégiques, sur toutes les avanies et sur toutes les vilenies (du maintien des lois raciales après Mussolini aux viols commis par l’armée française, des volumes de la bibliothèque universitaire de Naples brûlés par les Allemands en passant par le différentiel de solde entre soldats coloniaux ou non des forces françaises).

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CHAPITRE 21, « Vers le débarquement (1943 – juin 1944) »

Chapitre passionnant dédié en grande partie à la logistique.

Deux pinaillages :

P. 657, « 90 divisions et 8 300 000 » pour le total des forces EU atteint en mai 1945. Ça ferait plus de 92 000 hommes par division, soit entre 4 et 5 fois plus que dans les autres armées. Une erreur ?

P. 666, la carte présentant le dispositif défensif allemand en Europe du Nord-Ouest me semble comprendre une erreur de légende. Le figuré pour le Groupement blindé, partie États-majors de la légende, ne se retrouve pas sur la carte.

Une réflexion m’est venue en lisant les pages dédiées aux navires de transport (Landing Ships, etc.) : on présente souvent la Seconde Guerre mondiale comme la guerre qui a fait basculer la marine de l’ère du cuirassé à l’ère du porte-avions. Certes. Mais finalement, les liberty ships, les navires marchands, les navires de débarquement ne furent-ils pas tout autant, sinon davantage, essentiels ?

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CHAPITRE 22, « « Overlord et Bagration (6 juin 1944 – 16 décembre 1944) »

P. 670 et suivantes : « deux grandes flottes composaient l’armada d’Overlord ». Il est dommage de ne pas avoir davantage de détails sur la composition de ces flottes. Certes, le débarquement fut une affaire essentiellement états-unienne, canadienne et britannique, mais la participation des autres pays ne fut pas nulle. Plus que les 177 hommes du commando Keifer, la participation de la flotte de l’Armée française de libération est ainsi à retenir (3000 hommes au total, 2 % des effectifs). Outre, la marine française, les participations des marines norvégienne, grecque, néerlandaise, belge, danoise et polonaise, quoique moins conséquentes, ont une importance symbolique. Et puis, ça aurait montré, encore une fois, que l’Armée polonaise de l’ouest était décidément de tous les combats.

J’aurais aimé aussi avoir une estimation des pertes allemandes sur la journée du 6 juin.

P. 676, les haies au détour d’un paragraphe. Dommage de ne pas avoir souligné l’adaptation des hommes du terrain à ce problème (le fameux Rhino Tank grâce au sergent Culin). Mais c’est un détail.

Aparté : Monty, quelle tête de con !

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CHAPITRE 23, « Exploitations »

De très belles pages sur le sort de Varsovie. Et sur les difficultés logistiques à l’ouest.

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CHAPITRE 24, « Déboires à l’ouest, victoires à l’est »

Rien à dire, si ce n’est que j’aurais apprécié avoir l’équivalent des pages sur ce qu’est être soldat dans le désert, mais pour les Ardennes.

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CHAPITRE 25, « Le crépuscule des tyrans (janvier-mai 1945) »

L’auteur s’appuie, à raison, grandement sur La fin de Kershaw. Je ne vais donc pas m’étendre. J’ai apprécié qu’il souligne à plusieurs reprises le comportement des troupes soviétiques et les viols massifs. Il le fait aussi, c’est à saluer, avec les troupes françaises à Stuttgart. Regret : ne pas avoir la même chose pour les troupes US et britanniques.

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CHAPITRE 26, « « Pacifique : l’étau se resserre (avril 1943 – octobre 1944) »

Chapitre très intéressant. Néanmoins, les pages consacrées à la Chine me laissent une impression bizarre : à lire la totalité de l’ouvrage, on a l’impression que les troupes communistes ont passé la guerre à jouer aux cartes et aux dés. J’exagère évidemment, mais finalement Wieviorka ne dit que très peu de choses sur elles.

P. 792, il évoque l’opération – annulée – Buccaneer de débarquement sur les îles Andaman. Ça aurait été l’occasion de rappeler que Chandra Bose s’y était installé.

Les lignes consacrées à la bataille du golfe de Leyte (pp. 798 à 801) sont d’autant plus appréciables que celles dédiées aux batailles du Pacifique sont peu nombreuses dans le livre. Guadalcanal, c’était trois pages contre onze pour les trois batailles d’El-Alamein (1er juillet – 4 novembre 1942).

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CHAPITRE 27, « Dernier acte (octobre 1944 – septembre 1945) »

Un chapitre vraiment excellent qui fait le point à la fois sur la bombe et son usage, sur les controverses et sur la position des Japonais.

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CHAPITRE 28, « Combattre »

Nouveau chapitre plus “théorique”. J’ai déjà dit que c’était selon moi les plus intéressants du livre, ça se confirme. Wieviorka y traite de l’entraînement, de l’engagement, de la peur, de la logistique, de l’endoctrinement, de la répression, des exactions (et donne ici les éléments sur les viols par les soldats US que je regrettais de ne pas avoir précédemment), des parades pour échapper aux combats, etc.

Deux petits points :

— P. 857, l’usage de l’expression « diktat de Versailles » sans utiliser de guillemets.

— Ce chapitre concerne les armées britanniques, états-uniennes, japonaises, allemandes et soviétiques. J’aurais aimé avoir des éléments similaires sur les troupes finlandaises, hongroises, roumaines, chinoises, italiennes, polonaises… Mais c’est déjà l’un des plus longs (42 pages contre 14 pour le chapitre 24 par exemple) et ce serait un livre à part entière alors que Wieviorka propose une synthèse.

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CHAPITRE 29, « Nouvelles donnes »

J’aurais aimé davantage de lignes sur les procès de Nuremberg (ici, l’auteur ne parle que du premier).

P. 875, en parlant des procès de Tokyo, Wieviorka écrit « les onze nations impliquées dans la guerre contre le Japon désignèrent chacune un juge » (soit les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Inde, les Pays-Bas, les Philippines, l’URSS, la France et la Chine). Onze juge certes, mais les onze nations impliquées dans la guerre, non. On peut ajouter à cette liste la Mongolie (de nombreuses divisions versées dans un groupe mécanisé soviéto-mongol en 1945 et une déclaration de guerre officielle le 10 août), le Népal (seize bataillons combattants sur le front birman), la ou les Corée·s (occupation japonaise certes, mais résistance assez forte), voire le Portugal dans le cas du Timor. Sans parler des nations colonisées…

Si l’auteur évoque bien les conflits post-Seconde Guerre mondiale, ça aurait eu plus de poids en mentionnant le nombre considérable de victimes de guerre entre la fin 1945 et 1950. 210 000 morts pour la guerre civile grecque de 1946-1949, probablement plus de 100 000 en Indonésie entre 1945 et 1949, 5 000 en Palestine mandataire en 1947-1948, plusieurs centaines de milliers, voire un million de tués dans les troubles post-indépendance des Indes en 1947-1948 ou encore les possibles 5 millions en Chine entre 1945 et 1950…

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CONCLUSION

Elle est très bonne parce que l’auteur fait preuve de beaucoup de nuances. Il mentionne que, effectivement, la production économique et la logistique, la loi des nombres furent des éléments essentiels de la victoire sur le plan global, il fallait aussi de la chance et des qualités de commandements au niveau local.

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QUELQUES ÉLÉMENTS GLOBAUX :

Le livre se consacre en majorité aux fronts européens. Ainsi, les fronts asiatiques et du Pacifique ne font que de 5 chapitres exclusifs sur 29. Aucun sur une bataille en particuliers contre un pour Stalingrad et un autre pour Koursk ; aucun sur une opération en particulier alors qu’Overlord (21 et 22), Bragation (22), Barbarossa (7) en font l’objet.

Pour résumer ces longs développements, le livre a plein de (gros) défauts, mais aussi d’immenses qualités. La maîtrise bibliographique impressionnante d’Olivier Wieviorka n’en est la moindre.

Arnaud-Bstop
7
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le 13 avr. 2024

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Arnaud-Bstop

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