Historiquement correct de Jean Sévillia est un essai extrêmement intéressant, qui s'efforce de revenir sur de nombreuses périodes de l'histoire, du Moyen Âge à la guerre d'Algérie, et d'examiner et redresser les raccourcis et les clichés véhiculés par l'historiographie habituelle.


Bien que l'auteur prétende rechercher une certaine objectivité et ne pas inverser le manichéisme qu'il dénonce, il me semble incontestable que son livre soit pénétré de son orientation et de ses idées : catholique en premier lieu, de sensibilité royaliste, et en tout cas, aujourd'hui, de droite conservatrice.


Je ne puis nier avoir une sensibilité assez proche de celle de l'auteur et être à cet égard particulièrement réceptif à ses thèses. Néanmoins, je crois qu'il serait réducteur de dire que j'aime ce livre uniquement parce qu'il me correspond, d'autant que je m'efforce de toujours adopter un certain recul par rapport aux "redresseurs de torts". En effet, cet essai a la vertu de s'appuyer sur des travaux d'historiens qui semblent sérieux, divers et documentés afin de mettre en lumière les erreurs ou les biais de l'interprétation habituelle de diverses périodes et divers événements.


Cette historiographie que j'appelle "habituelle", c'est celle véhiculée par l'Université et par l'Education Nationale au fil des décennies, parfois par tradition, parfois par idéologie. Je crois qu'on n'est jamais totalement objectif lorsque l'on tient un discours dans les sciences humaines, et que l'on se laisse souvent porter par ses propres idées, qui colorent le contenu de ce que l'on dit, même si l'on est de bonne foi. De plus, on est souvent tenté de s'inscrire dans un contexte collectif et on est en cela influencé par les idées qui nous entourent. Dire que l'Université et l'Ecole en France (et plus généralement les élites intellectuelles) sont pénétrées depuis l'après-guerre des grilles de lecture marxistes et de leurs épigones ne me semble donc pas relever de l'exagération ou du fantasme. Il est évident qu'il serait caricatural de dire que tous les individus, professeurs, universitaires, seraient représentants de ce courant de pensée, mais cela n'empêche pas d'appréhender la tendance de fond, le courant majoritaire. En ce qui concerne l'histoire, en particulier, science qui touche à notre identité, à "d'où l'on vient", et peut-être donc aussi "où l'on va", la passion n'est jamais très loin, et la subjectivité toujours présente. Car l'histoire procède d'une double vocation : d'abord retracer aussi objectivement que possible les événements et la vie des hommes qui nous ont précédés (c'est la partie la plus "scientifique" de la discipline), ensuite générer un "fil", une continuité explicative d'aujourd'hui, un imaginaire également, qui s'inscrive dans une ligne de fond qui se perpétue dans le temps présent.


On a souvent brocardé le légendaire "nos ancêtres les Gaulois" de la IIIe République ; il me semble sain de concevoir qu'aujourd'hui encore l'histoire enseignée n'est pas dénuée d'idéologie, et que demain il en sera de même, inévitablement. Le parti-pris de l'auteur est de considérer que l'historiographie "officielle" exclut les idées alternatives (d'où le sous-titre "pour en finir avec le passé unique"). C'est là le fondement polémique de son essai. Je dois dire ne guère apprécier la polémique ni les slogans tonitruants. Mais il me semble raisonnable de penser que certaines idées sont parfois fustigées dès lors qu'elles sortent du "droit chemin". Les intellectuels, de tout temps, ont cette propension à exclure de leur champ de pensée les idées (et leurs porteurs) qui leur sont trop contradictoires. Je ne parle pas d'untel ou untel, mais plutôt d'une tendance collective. Au fond, rien n'a vraiment changé depuis l'Antiquité : la société est toujours invariablement divisée en trois ordres : guerrier, producteur et religieux. Le curseur peut évoluer, les formes de ces ordres aussi, mais la matrice demeure. Le religieux stricto sensu ayant été plus ou moins euthanasié dans l'Occident sécularisé, c'est le monde intellectuel qui en a pris le relais. Et bien que l'on professe toujours des idées de liberté d'expression et de tolérance, les concepts d'hétérodoxie, d'hérésie même, bien que mis en sourdine dans le principe, ne laissent d'exister.


Partant de cela, Jean Sévillia s'emploie donc à démonter certaines idées de ce qu'il appelle l'historiquement correct. Voyons donc le fond.


Tout d'abord, je suis particulièrement sensible à tout ce qui relève de la réhabilitation du Moyen Âge. Je bondis d'ailleurs dès que quelqu'un, par ignorance, emploie le terme méprisant de "moyenâgeux" au lieu de "médiéval". "Période sombre", "obscurantiste", "brutale", les clichés ne manquent pas à son sujet. Et je crois que c'est aujourd'hui essentiellement par tradition que l'on véhicule ces idées. C'est depuis la Renaissance que nous avons cette conception biaisée du "Moyen Âge", perçu comme une période assez homogène dans l'obscurité, comme si entre la chute de l'Empire romain d'Occident et les débuts de l'imprimerie (un millénaire donc !), il n'y avait eu aucune nuance, aucun passage glorieux et culturellement riche, et que le monde européen s'était enfin réveillé aux XVe-XVIe siècles dans le sillage de l'art italien, de l'humanisme et des schismes protestants. C'est omettre la renaissance carolingienne, le renouveau intellectuel des universités médiévales dès le XIIe siècle, la littérature chevaleresque, les poètes et troubadours, le temps des cathédrales etc. Je digresse légèrement sur le propos de Jean Sévillia, mais je suis sûr qu'il ne m'en voudrait pas trop, car ses analyses sur la féodalité, les croisades, l'Inquisition et l'Espagne médiévale témoignent de la grande complexité de ces siècles injustement jugés avec les regards accusateurs (inquisiteurs ?) d'aujourd'hui.


Je suis également très sensible aux rectifications faites sur l'Ancien Régime et la Révolution. La fin du XVIIIe siècle en France et en Europe est une période absolument passionnante, bouillonnante, tragique et paradoxale. Un monde meurt sur l'échafaud avec ses beautés et ses décadences, ses étoiles pâlies et ses scléroses. Un nouveau monde naît, dans un flot de sang, autour d'idées "neuves", qui aura lui aussi ses beautés et ses décadences, ses grandeurs et ses bassesses. Mais l'historiographie est souvent manichéenne. Si elle ne nie généralement pas la Terreur, elle la considère comme une anomalie dans une Révolution globalement salutaire qui aurait mis fin à un régime de tyrannie, et minimise souvent la portée des horreurs commises entre 1789 et 1799. Il est donc précieux de pouvoir lire une analyse plus globale des choses.


Enfin, dernier sujet qui me tient à cœur, la seconde guerre mondiale et sa genèse. Sujet plus sensible car plus récent, qui a lui aussi donné lieu à des visions binaires auxquelles il importait d'apporter de nombreuses nuances afin de restituer plus fidèlement la réalité des événements, des idées et des hommes, pris dans leur contexte et non pas uniquement avec les connaissances rétrospectives et les jugements moraux. Résistance et collaboration, fascisme et antifascisme, pacifisme d'entre-deux-guerres et déroute militaire de mai-juin 1940, autant de sujets passionnants, crispants parfois, qui sont traités par Jean Sévillia avec une acuité rare.


Les autres sujets abordés (guerres de religion, catholicisme et monde ouvrier, anticléricalisme de la IIIe République, affaire Dreyfus, décolonisation et guerre d'Algérie) sont des sujets également très intéressants, parfois moins connus, en tout cas toujours traités avec un certain recul et une volonté de resituer dans leur époque ces événements.


Je conclurais donc en disant que cet essai est un travail remarquable, certes pas dénué de biais (qui hélas hérisseront le poil de lecteurs très en contradiction avec les idées de l'auteur), mais du moins fondé sur du concret et du sérieux, avec un certain nombre de sources valides, et qui s'efforce d'analyser les choses avec honnêteté. Que ce soit pour les sujets que l'on croît connaître ou pour ceux où l'on est très ignorant, c'est une lecture passionnante et fort instructive, que je recommande véritablement.

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le 21 juil. 2016

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