J'ai eu un peu de mal à commencer à lire cet ouvrage, étant donné qu'il m'avait été recommandé par des types se plaignant souvent comme Eric Zemmour de la "pensée unique" et de la "bienpensance", "on peut plus rien dire", gna gna gna...
Heureusement, même si Jean Sevillia dénonce un "passé unique", il y oppose des arguments et contre-arguments plutôt crédibles pour l'ensemble, sans crier à la "pollution en masse des esprits" et sans inciter à la pendaison des gauchistes et de tout ce qui n'est pas blanc et chrétien (c'est pas comme l'autre pseudo-Goebbels, c'est-à-dire Zemmour, maître de la haine).
Même s'il pointe un peu trop les "ambivalences" des discours des historiens marxistes ou les accusent d'occulter certaines réalités, il le fait avec tact et subtilité... la plupart du temps. Parce que quand il dit qu'il y avait des gauchistes au sein des collabos, des gauchistes pro-fascistes ou pro-nazis, ou même des gauchistes anti-dreyfusards ou antisémites (puisque certains voyaient les Juifs comme "valets du Capital"), ou d'autres encore qui étaient pour la colonisation.
C'est encore crédible puisque c'est une révélation déjà faite dans certains cours d'Histoire de collège-lycée (le passé communiste de Mussolini, Doriot et Laval par exemple), et ça rapporte de la nuance dans l'Histoire.
Si le reste est peu sujet à débat ou polémique, j'ai bien aimé son analyse sur la Commune de Paris de 1871, qui consiste à dire que - même si les communards et leurs partisans poussaient un peu le bouchon à force de vouloir que la République soit forcément de gauche par la force s'il le faut - réprimer la Commune alors qu'elle est le résultat d'une détresse populaire (les travaux d'Haussmann chassant les pauvres aux alentours de Paris), d'un patriotisme face à l'envahisseur prussien (alors que l'Assemblée nationale majoritairement monarchiste voulait la paix et la collaboration) et d'un manque de soutien de la part des élus (plaçant les finances et la religion au delà des malheurs des pauvres et des autres Parisiens), était une faute grave :
On se serait fait une économie de la répression si on avait d'abord tentés de résoudre le problème de la pauvreté à Paris plutôt que de l'exterminer. [Citation approximative]
Mais c'est plutôt son passage sur la séparation entre l'Église et l'État qui pêche le plus, certaines de ses allégations étant appuyées sans sources ni bibliographies. Jean Sévillia nous dit que les prêtres étaient harcelés, mal considérés et privés de leurs salaires (surtout ceux de petits monastères), tout ça à cause de "grands méchants gauchistes anticléricaux/athéistes/anti-religions" (même s'il ne le dit pas comme ça).
Si ça peut paraître aussi bizarre pour certains que "l'École" présente les prêtres comme ayant refusé la séparation de 1905 les armes à la main face aux prêtres venus les déloger des endroits qu'ils occupaient armés, le discours inverse traitant les "gauchistes" en méchants me semble peu adapté voire tout aussi néfaste et de mauvaise foi.
Et c'est ça le problème de cet ouvrage, il semble parfois manquer de rigueur historique et vire au discours de droite "de mauvaise foi". Mais attention, pas de mauvaise foi style décomplexée/Wauquiez comme chez les rédacteurs du Figaro et de Causeur (qui détestent les étudiants rebelles de Mai 2018 en les traitant de "perdants" et de "bobos" alors qu'ils veulent un système plus équitable mais ont fait des dégâts), ni même du style à détester tout ce qui n'est pas "français" et ultranationaliste comme les rédacteurs de Valeurs (qui se plaignent de la perte des valeurs "nationales" mais crient sans appuyer leurs propos ou sortent des chiffres sortis de n'allant pas au-delà de 2002... pour des sujets d'actualité → Edit : c'était pour un graphique "Nombres de journalistes se revendiquant de gauche").
Cependant, j'ai quand même cette impression que Sévillia n'essaye pas toujours de ramener un équilibre au sein de l'Histoire en apportant un avis divergent et nuancé, mais plutôt qu'il essaye de détruire la "pensée unique bienpensante de gauche" au profit d'une "pensée unique bienpensante de droite".
Car même si on a eu des périodes où la Gauche a eu tendance à nier, cacher ou minimiser ses fautes, les Modérés de gauche comme de droite pointaient souvent du doigt leurs fautes... tandis que la Droite dure et l'Extrême-droite ont répondu... en les traitant de "gauchiasses socialopes" et en faisant les mêmes excès.
C'est certes dangereux de servir la même soupe "Gauche = Bien ; Droite = Fascisme nazi", mais c'est tout aussi dangereux de répondre "Droite = Bien ; Gauche = Vermine divergente". De tels manichéismes sont les fléaux des Français, quels qu'ils soient.
Mais alors que Historiquement correct semblait apporter de la nuance, de la nouveauté, des éclaircissements, un rétablissement de certaines vérités, il sombre parfois dans l'absence de modération et argumente sans prouver ou en s'appuyant sur des historiens polémiques qui ont eux-mêmes des méthodes de travail discutables (comme ceux qui crient au "génocide anti-vendéen" lors de la Révolution française).
Sévillia accuse certains historiens d'être politiquement trop penchés à gauche. Mais au lieu d'apporter un semblant de neutralité ou de modération politique au sein de l'Histoire, il ne fait qu'exprimer un discours de droite tout aussi politisé.
Ce serait formidable si l'Histoire était enseigné par des modérés, mais Sévillia ne fait pas partie de ceux-là. À lire, mais avec du recul (la modération n'étant pas toujours de mise).