Tout ou rien...
C'est ce genre de film, comme "La dernière tentation du Christ" de Scorsese", qui vous fait sentir comme un rat de laboratoire. C'est fait pour vous faire réagir, et oui, vous réagissez au quart de...
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le 6 sept. 2013
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(Lecture en cours).
José Bové revient sur son premier mandat de député européen.
Le ton est moins militant qu'on n'aurait pu le croire. C'est celui d'un citoyen, pas niais, qui découvre de l'intérieur le fonctionnement des institutions européennes, gangrénées par les lobbys et surtout le pantouflage. En homme de bonne volonté, rusé, déterminé, s'appuyant sur une équipe soudée, il fait bouger les lignes autant qu'il le peut.
C'est tout ce que j'aime : un regard qui jète la lumière sans complaisance sur les recoins sombres des institutions, mais qui ne se laisse pas gagner par le cynisme ou le désespoir. ça redonne foi en la politique.
Bové insiste peut-être sur les batailles gagnées, ou gagnables. Cela dit, la pression des lobbies est telle que même lorsqu'il arrache une concession, il y a encore bien des mois de veille avant d'être sûr que la bataille est remportée. Et parfois, une victoire, c'est simplement torpiller un projet aberrant.
Et puis c'est bien écrit. Bové sait aggriper son lecteur sur des sujets a priori fort rébarbatifs. Les chapitres ont souvent la même structure. Il découvre un fait qui le choque, un combat à mener. Petite mise au point bien troussée sur les tenants et les aboutissants. Il mène son combat et voit la cause évoluer à travers les rouages de Bruxelles et/ou les mobilisations citoyennes. Epilogue et morale. Chaque chapitre se centre sur un combat, ce qui donne l'impression d'un emploi du temps très dense et très chargé.
J'apprécie surtout de voir de l'intérieur un point de vue sur des affaires que j'avais suivi de loin, au détour d'un article du Monde, et dont je ne savais pas toujours quoi penser.
Il y a une préface de Daniel Cohn-Bendit, ce qui est tout de même fort de café, mais montre déjà l'ouverture d'esprit de Bové. Ce dernier remercie à plusieurs reprises sa troupe d'assistants (ou co-députés comme il les appelle) pour leur soutien.
I - Les agents doubles des biotechnologies
Le 2 mars 2010, Bové découvre que John Dalli autorise la mise sur le marché d'une variété de pomme de terre transgénique, Amflora. Son staff enquête sur l'Efsa, l'agence de santé européenne basée à Parme, trop pauvre pour financer ses propres études, et qu'il découvre vérolée de conflits d'intérêt. Il demande à rencontrer Dalli, pose un ultimatum de deux mois avant de rendre l'affaire publique, puis après une fin de non-recevoir mène le combat dans les médias. La commission européenne essaie de passer en force, mais une refonde de l'EFSA fait son chemin. Le 16 janvier 2012, BASF abandonne la culture d'Amflora.
II - Le plan fumeux du lobby du tabac.
Bové apprend le 16 octobre 2012 que John Dalli a été licencié par Barroso en l'espace d'une demi-heure, à la suite d'une accusation de collusion avec l'industrie du tabac transmise par Olaf (Office européen de lutte antifraude). Pourtant, Dalli est un antitabac notoire, qui préparait des mesures qui hérissent le lobby du tabac (augmentation de la taille des images montrant les effets du tabac, etc...). Bové et son équipe suivent les rebondissements de l'affaire, qui impliquent tout de même un cambriolage d'ONG anti-tabac, un traquenard monté avec l'aide d'une avocate maltaise, des fuites à l'intérieur de l'OLAF et des tentatives maladroites de drague de lobbyistes auprès de Bové ("en tant que libertaire, vous devez être contre la lutte anti-tabac ?"). En revanche, remonter jusqu'aux donneurs d'ordres semble plus compliqué.
III - Une PAC sous influence.
Le combat de Bové pour faire passer le plan pour l'agriculture du Roumain Dacian Ciolos, qui veut combattre la concentration des terres au profit de l'industrie agricole en plafonnant par exemple les subventions que chaque exploitant peut recevoir à 100 000 euros. Pourtant, malgré l'appui de la société civile, la commission européenne et les trilogues (groupes de travail associant ministres, parlementaires européens et membres de la commission) dénaturent le projet, qui est de toute façon repoussé... à deux voix près. Au passage, les députés FN ont voté contre, alors qu'ils prétendent défendre les petits contre les gros. Finalement, en juin 2013, les dirigeants européens décident que chaque pays peut moduler la PAC, mettant fin, de fait, à l'existence de celle-ci. Bové fait la politique de la chaise vide en protestation. Il y a d'utiles rappels sur la PAC, mais aussi le rôle de l'OCDE dans la rage de Bruxelles pour les statistiques hors-sol.
IV - Insecticides : le goût de la victoire.
Récit du combat, de mars à décembre 2013, aboutissant à la suspension de trois insecticides néonicotinoïdes. On y apprend des choses édifiantes : avant même que le rapport négatif de l'EFSA soit rendu public, les lobbys industriels lancent des courriers très menaçants à l'institution, avec des demandes de quasi-mise sous tutelle. Bové appuie la campagne médiatique qui prend dans l'opinion et pousse les lobbys à reculer.
V - Le Maroc, banc d'essai européen du libre-échange.
Député suppléant à l'Inta, la commission du commerce international, Bové se voit confier le dossier "Accords UE-Maroc sur les mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles et de produits de la pêche". C'est une sorte de mini-TAFTA, qui veut ouvrir grand le commerce marocain aux échanges avec l'Europe, avec déjà de grands projets de firmes européennes et d'Etats du Golfe pour développer une agriculture industrielle. Le gouvernement marocain veut en profiter pour coloniser la région du Sahara occidental. Bové arrive à faire prendre un an et demi de retard au projet, en faisant remarquer qu'au niveau du droit international, le statut du Sahara occidental reste flou, l'autorité de tutelle, l'Espagne, n'exerçant plus son droit depuis les années 1970, mais le contrôle de fait par le Maroc n'ayant jamais été reconnu. Le président de l'Inta finit par piquer une crise de nerf. En définitive, Bové demande à faire retirer son nom du rapport. Le projet est abandonné, mais un autre, concernant l'industrie, nommé Aleca, est lancé en 2013.
VI - La bataille du gaz de schiste, ou comment garder le pouvoir sur son cadre de vie.
24 avril 2010, Bové apprend dans Midi Libre qu''un pétrolier texan va explorer la roche nantaise". Il s'agit de Nant, dans le Larzac. Personne ne sait rien sur place, mais on apprend rapidement qu'il s'agit de prospecter pour du gaz de schiste. C'est un chapitre émouvant, où l'on voit Bové aider à remonter un mouvement de veille citoyenne qui lui rappelle les folles années du Larzac. En face, le lobby du gaz de schiste promet monts et merveilles aux politiques. En Pologne, pays très dépendant de la Russie pour le gaz, ça marche du tonnerre, mais en France Arnaud Montebourg aussi se laisse prendre. Petit retour sur les démissions de Nicole Bricq, puis Delphine Batho. Récit d'un commando médiatique en Pologne, face à des employés d'Halliburton. Victoire finale.
VII - La grande bataille du libre-échange avec l'Amérique du Nord.
C'est un chapitre plus général, sur les implications et le jeu de dupe que constituent le traité de libre-échange avec le Canada, hors-d'oeuvre pour le TTIP, celui avec les Etats-Unis. Retour sur les fameux tribunaux d'arbitrage, l'appauvrissement des Etats qu'implique la destruction des barrières douanières (notamment dans le budget de l'U.E.), le fait que ces politiques ne profitent qu'aux grandes firmes et sont un moyen de vassaliser les Etats. Le ton est plus énervé et militant, car l'affaire reste en cours au moment de la rédaction du livre.
VIII - Refonder l'Europe.
Le chapitre final, étonnamment, n'est pas anti-européen. Au contraire, Bové prône une Europe fédéraliste au budget plus fort. Ses recommandations : mettre fin à l'opacité de la prise de décision à l'intérieur de la commission européenne et des trilogues ; personnaliser davantage les élections européennes ; limiter drastiquement le lobbying en rendant obligatoire l'inscription au registre des activités de lobbying ; rendre le budget européen à nouveau solidaire ; lutter contre le pantouflage.
Les annexes se composent d'un registre des sigles employés et d'une mise au point sur le fonctionnement des institutions européennes. Attention, c'est un peu aride si vous ne connaissez pas déjà un peu.
Créée
le 14 oct. 2018
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