Un écrivain face à la montée du Mal

On sait depuis toujours – depuis son premier roman, en fait, Carrie, avec sa charge contre les dérives du bigotisme et de la ferveur religieuse – où se positionne Stephen King sur l’échiquier politique US : beaucoup plus « à gauche », comme on dit chez nous, que la majorité de ses collègues auteurs de best-sellers populaires. Le combat qu’il a mené à son niveau, dans une grande partie de son œuvre, contre la masculinité toxique, contre les violences faites aux femmes (et aux enfants), a anticipé de plusieurs décennies les mouvements féministes contemporains. Et, paradoxalement pour un écrivain devenu riche et célèbre grâce au fantastique et aux menaces terrifiantes de l’inconnu, King a toujours prôné la raison, la logique et l’ouverture au monde, ainsi qu’aux autres. A rebours donc d’une partie croissante de la population US, et donc de son lectorat.

Holly est, même en prenant en compte ce contexte, un livre de rupture : Stephen King y adopte pour la première fois des positions tranchées – ses ennemis diront même qu’il fait de la propagande dans son livre : contre les anti-vax (l’histoire se déroule au plus haut de la crise du Covid), contre les conspirationnistes de tout poil, contre ceux qui placent la foi devant la science, et finalement – et clairement – contre les meutes à la solde de Trump qui ne rêvent que de reprendre le Capitole, et le pouvoir, de n’importe quelle manière. Holly est donc un livre militant, pour des Etats-Unis modernes, et contre le retour de ce vieux Mal, qui, lui n’a rien de surnaturel, du fascisme. On notera avec un brin d’amusement quand même que, dans sa postface, King, regrettant peut-être la véhémence dont il a fait preuve, explique que ce sont là les idées de son personnage, qu’il doit défendre comme tout bon écrivain qui se respecte…

Mais Holly est aussi un pur roman policier, sans nul élément fantastique, cette fois : Holly Gibney, personnage passionnant que nous avons découvert dans la trilogie Mr. Mercedes / Carnets Noirs / Fin de Ronde, puis retrouvée dans l’Outsider et dans la nouvelle Si ça saigne. Holly dirige désormais l’agence Finders Keepers, et on lui demande de retrouver une jeune femme disparue… ce qui va la mettre sur la piste de bien étranges serial killers. A un moment du livre, Holly exprime son admiration pour le Bosch de Michael Connelly, et il est difficile de ne pas reconnaître que King, dans ce livre dont l’intrigue principale est une enquête policière assez traditionnelle, applique à la lettre les principes d’un bon enquêteur tels que répétés par Connelly dans tous ses romans : de l’attention au détail, du travail acharné, de la logique pure et dure, mais une ouverture aux intuitions. Bien sûr, comme on reste chez Stephen King, s’il n’y a pas de fantastique ici, le livre ne lésine pas sur l’horreur, et aligne plusieurs scènes traumatisantes !

Mais si ce roman s’intitule Holly, c’est aussi parce que King se penche pendant de longues pages sur la vie de Holly, son enfance, sa relation difficile avec une mère abusive, et continue à construire, à donner de la chair, à épaissir Holly Gibney. Qui est en passe de devenir l’un des personnages les plus riches, les plus passionnants de toute l’œuvre de Stephen King.

Ce n’est pas rien.

Et tout ça donne une réussite épatante, qui rassérénera les fans après un Conte de Fées en demi-teinte.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/03/13/holly-de-stephen-king-un-ecrivain-face-a-la-montee-du-mal/

EricDebarnot
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Créée

le 13 mars 2024

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Eric BBYoda

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