La bête humaine
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Un roman fortement déconseillé aux dépressifs : il ne leur redonnera pas la joie de vivre. A ce niveau-là, on ne peut même plus parler de broyer du noir, plutôt d'être noyé dans le noir. Adam Haberberg cumule en effet les raisons d'être malheureux : rongé par un mal qui risque de le rendre aveugle, méprisé par sa femme, insatisfait de sa carrière d'écrivain. On fait sa connaissance au Jardin des Plantes où il s'apitoie sur un animal nommé "solitaire", parqué là loin de son habitat naturel. Hommes qui ne savent pas être aimés, titre non approuvé par l'auteur (j'ignorais qu'un éditeur pouvait imposer un titre à l'auteur d'un livre, je trouve ça un peu limite), parle essentiellement du sentiment de solitude d'un homme. Sentiment que, par essence, on ne peut partager.
On sait que certaines femmes n'aiment rien tant que se penser "sauveuses" d'un homme. D'où le succès, peut-être, de ceux qui s'affichent en détresse. Mais Adam ne veut pas être aimé. Pour accepter d'être aimé, il faut qu'il rencontre quelqu'un qui lui ressemble, qui partage sa détresse intérieure. Et ça, ce n'est pas Marie-Thérèse Lyoc, cette amie d'enfance croisée par hasard : Adam ne supporte même pas que Marie-Thérèse l'inclue dans une simple phrase telle que "nous n'avons même pas 50 ans"...
Adam se surprend pourtant à accepter l'invitation. Marie-Thérèse (quel prénom !) n'est pas laide, simplement insignifiante. Son business, sa Jeep et sa banlieue (Viry-Châtillon) sont à l'avenant. Adam la suit mais il est affligé intérieurement de ce qu'il est en train de faire. Il ne parvient pas à porter sur Marie-Thérèse un regard de prédateur, comme le ferait son pote Albert. Résultat : alors que dans la plupart des romans l'invitation aurait tourné à la partie de jambes en l'air, c'est ici le fiasco.
Yasmina Reza traduit très bien le monologue intérieur d'Adam, alternant avec le retour au réel, face à Marie-Thérèse. Beaucoup d'hommes se reconnaîtront sans doute dans cette incapacité à "se laisser aimer", d'où la volonté des éditeurs d'imposer ce titre. La romancière nous parle d'un cas bien particulier, mais comme souvent c'est par le singulier qu'on touche à l'universel.
Je terminerai par cette jolie phrase, page 175 :
Tu te croyais à l'abri de la vie dans l'antre de Viry.
Poétique.
7,5
Créée
le 8 févr. 2021
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