Un livre qui dérange par ces différents niveaux de lecture
Soyons honnête au début de cette critique: ce livre n'est pas un chef d'oeuvre de la littérature par sa forme. Ce n'est pas un livre que l'on relira pour ces tournures léchées, son inventivité lexicale. Mais il possède des qualités de fond qui permettent de le relire, ce qui tend déjà à en faire un livre un peu supérieur [insérez ici une vanne raciste].
Donc nous sommes ici en présence d'un livre étonnamment consensuel malgré son thème. J'ai beaucoup ri, je l'avoue. Pourtant, l'auteur utilise son personnage un peu à la manière des "Lettres Persanes" de Montesquieu, à savoir comme un regard extérieur et critique sur notre situation. La vision qu'Hitler nous livre des médias (pour prendre l'exemple le plus frappant) est saisissante, surtout vu de qui elle vient.
Prendre Hitler comme narrateur est un procédé incroyablement malin. En effet, cela non seulement humanise d'une manière déconcertante ce "monstre", mais surtout participe au questionnement du lecteur, puisqu'après tout, ce gars n'est pas si terrible, il fait même rire plusieurs fois. Est-ce que ce qu'il dit est si grave finalement? Et nous voilà pris au piège, tout comme les personnages du roman, qui ne prenne pas Hitler pour ce qu'il est...
Cette incapacité à saisir qui est réellement le narrateur me rappelle "Le maître et Marguerite" , critique du stalinisme utilisant le même ressort tragi-comique de l'incapacité de la majorité des personnages à comprendre et pouvoir comprendre ce qui se passe. Sauf qu'ici, il est clair pour tout le monde qui est le personnage, mais il est impossible que ce soit lui pour eux. On rit d'eux et de leur imbécilité et de leur soutien indirect au projet d'Hitler, mais au fond, ne sommes nous pas aussi coupable par notre rire, notre sympathie, le manque de sérieux dont nous faisons preuve face à ce narrateur?
Un livre qui dérange donc par son sujet, ces critiques acérés sous couvert d'humour, "l'imbécilité de la masse" qui permettrait à Hitler de recommencer et surtout par la complicité implicite entre le lecteur et Hitler, ce monstre hélas si humain.
Seul l'aspect parfois longuet de l'oeuvre et le manque de style (en traduction s'entend, je ne l'ai hélas pas lu en VO) m'empêche de noter encore mieux l'ouvrage. Le fait qu'il soit un "succès populaire" en Allemagne est par contre très amusant, autant ironique que l'ouvrage en soi.