Points étonnants et culottés de ce bouquin : tout est vu du point de vue de la mère, qui écrit à son (ex)mari. Hyper subjectif. Avec ce regard froid, qui cisèle, ne prend aucun détour. Et qui accuse, d'emblée, l'enfant d'être un Monstre.
Le livre a la force de ne pas reposer sur un faux suspens : on sait tout de suite l'horreur, et pourtant il est haletant, parce que, comme Eva, on veut comprendre, on veut voir ce qu'il y a derrière. Sauvés, nous n'aurons pas les explications raccourcis. Ni un enchevêtrement psychologique lourdingue.
C'est du pur et dur, la question du Mal Incarné. Et ça a l'incroyable talent de nous faire douter de l'objectivité d'Eva, à essayer de voir au-delà de ce qu'elle nous dit. Essayer de voir, aussi, à travers le regard du "bon" papa Franklin.
Mais les plans sont serrés, et on a du mal à ne pas croire à ce que raconte Eva sur ce qu'est son fils.
Question très forte du lecteur sur ce qui est inné et ce qui s'acquiert.
L'auteur a le talent de nous mettre au cœur de l'horreur, les mains pleine de sang, le doigt pointé vers Kevin le Monstre, et de parvenir à ce que le lecteur cherche sa propre vérité là-dedans.

Une vraie justesse de ressentie et de réflexion d'Eva face aux situations et aux impasses sur lesquelles elle se casse de plus en plus le nez : son mari qui s'éloigne, s'aveugle, les choses qui changent quand un enfant arrive, les sacrifices, très intéressants passages sur le non désir d'enfant, et le pourquoi "on y vient", l'impossibilité de désigner un enfant comme Mal. Questions sur le couple, la famille, l'ambition, la carrière, le regard des autres.
Ce livre a l'intelligence de retourner les valeurs habituelles pour les questionner.

Le ton est glaçant parce qu'Eva dit les choses sans passer par des chicaneries, elle veut tout dire, tout révéler, décortiquer et, aussi, s'autoflageller.
Et surtout, ne rien lâcher. Jamais. Ni son enfant terrible (qu'elle reste l'ultime ennemi dans une sorte de martyr expiatoire d'avoir enfanter le Monstre, et peut-être, de l'avoir créer par son non désir ?), ni son mari qui ne fait plus aucun effort pour la soutenir, ni son job, ni ses rêves.

Ce livre nous fait sortir des schémas habituels et questionne intelligemment.
C'est plein de tension, de stress, d'horreur, de malsain.

Je mettrais juste un bémol sur la longueur. Le livre aurait pu être coupé d'une centaine de pages. Le côté redondant ennuie parfois. Eva qui répète, se répète, ré-interprète, énumère.
ça souligne le côté obsessionnel d'Eva, ça lui donne aussi ce côté étrange et pas tout à fait net qui nous donne l'impression qu'elle n'est peut-être pas tout à fait équilibrée non plus.

En tout cas, un très bon livre. Qui me donne envie de revoir le film (que j'avais trouvé lourdingue il me semble). Et d'en lire d'autres de cet auteur !

Je rajoute également que malgré la fin connue dès le départ, Shriver a réussi à rendre son final plein de force, de l'horrible à l'état pur.
Et l'ouverture avec Kevin, dans les derniers chapitres, qui m'a laissé avec une impression d'être entre deux feux, de ne pas savoir sur quel pied dansé, et de permettre à toutes les perspectives de se concrétiser.

Balaise.
Queenie
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Petit... mais costaud ! et Littérature américaine

Créée

le 28 oct. 2013

Critique lue 1.6K fois

5 j'aime

Queenie

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

5

D'autres avis sur Il faut qu'on parle de Kévin

Il faut qu'on parle de Kévin
inimay
10

Quand on pense encore à un livre, plus d'un mois après l'avoir lu.

A travers des lettres qu'elle adresse au père de Kevin, Eva essaie de retracer –et comprendre ? - l'itinéraire de son fils aîné, avant même sa conception et jusqu'à ce JEUDI...

le 10 oct. 2011

8 j'aime

Il faut qu'on parle de Kévin
Kek
4

Ca part d'une bonne idée puis...

...ça fait pschitt. Roman sur une femme qui a plutôt bien réussi dans la vie. La boîte qui tourne, le mari attentionné, les voyages, l'argent et les amis. Tout roule. Sauf que l'horloge biologique...

Par

le 30 mars 2012

6 j'aime

3

Il faut qu'on parle de Kévin
Queenie
7

La Grande Question.

Points étonnants et culottés de ce bouquin : tout est vu du point de vue de la mère, qui écrit à son (ex)mari. Hyper subjectif. Avec ce regard froid, qui cisèle, ne prend aucun détour. Et qui accuse,...

le 28 oct. 2013

5 j'aime

Du même critique

Le Maître des illusions
Queenie
9

La neige fondait dans la montagne...

Ça démarre vraiment très bien avec l'histoire de ce petit groupe de jeunes étudiants dans une fac un peu huppée. Des étudiants à part, qui prennent des cours de grec ancien avec un prof mystérieux...

le 13 juil. 2012

36 j'aime

Perfect Mothers
Queenie
9

Paradis Perdu.

Deux amies d'enfance, très proches l'une de l'autre. Deux mères de deux superbes jeunes hommes. Un petit coin paradisiaque d'Australie. Les choses basculent (mais pas tant que ça) lorsque chacune des...

le 5 avr. 2013

35 j'aime

2

Vernon Subutex, tome 1
Queenie
9

Lendemain de fête.

Vernon, cet ancien disquaire, après avoir vivoté un temps du chômage et de l'aide de son ami chanteur célèbre, se retrouve rapidement à la rue lorsque l'argent ne rentre plus. Il va alors sillonner...

le 30 janv. 2015

25 j'aime