La bête humaine
[Critique à lire après avoir vu le film]Il paraît qu’un titre abscons peut être un handicap pour le succès d’un film ? J’avais, pour ma part, suffisamment apprécié les derniers films de Cristian...
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le 6 oct. 2023
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Mathieu Persan voue un amour sans bornes à ses deux parents. Sa mère étant décédée prématurément des suites d'un cancer, il raconte dans ce livre-témoignage la façon dont les choses se sont passées et comment il les a vécues.
C'est premier degré, sans filtre, à fleur de peau. On appréciera ou non cette naïveté couchée sur le papier. Pour moi, ce sera "ou non". Cette ode à "maman", véritable sainte qui se dédia entièrement à ses trois enfants, m'a plus agacé que touché. Idem avec ce "papa" toujours gentil, doux comme un agneau, altruiste absolu. Exemple page 143 :
Tout un tas de gamins sont passés dans la cuisine pour travailler avec mes parents. Des enfants du pompiste de la station-service d'en bas à la fille de gros bourges d'amis d'amis [surtout ne pas avoir des amis directs qui soient des "gros bourges"...], il n'y avait pas de différence ; mes parents étaient là pour sauver tous les gamins qui avaient besoin d'aide.
Mère Térésa peut aller se rhabiller.
Qui apprécie les bons sentiments sera comblé. Page 185, voici le conseil du père à son fiston :
Il faut être gentil, c'est ça le plus important. Et si on n'apprécie pas ça chez toi, si on te dit que t'es trop gentil, passe ton chemin. On n'est jamais trop gentil. Alors attention, faut pas être idiot non plus hein, trop bon, trop con [soupir...]. Mais il faut être gentil, toujours.
On atteint un sommet dans le gnangnan page 153 :
Mais en réalité, la réponse était simple. Simple comme une chanson de variété [oh là là !...], simple comme une comédie romantique un dimanche de pluie. La réponse, c'était l'amour. Rien de moins.
On verse aussi dans les clichés, par exemple sur la religion, page 142 :
Papa disait souvent : "N'oubliez jamais, les enfants, ici c'est la maison du bon Dieu." Cette expression, elle signifiait ironiquement que le bon Dieu, on en avait rien à cirer, mais qu'on serait toujours là pour aider, contrairement aux dévots dans leur paroisse qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs fidèles.
La forme s'accorde au fond : l'ensemble est assez mal écrit.
Exemple, cette façon de répéter un mot pour faire sentir la force de quelque chose. Page 89 :
Il ne fallait pas pleurer, j'étais là pour prendre, prendre, prendre, piller sans trier, tout, absolument tout, jusqu'à ce qu'il n'existe plus rien d'elle sur le lit.
A peu près la façon la plus indigente de procéder. Rebelote page 99 :
Et la garde républicaine qui devrait défiler sur l'avenue de Paris dans un silence de plomb, elle est où ? Elle est où ?
L'usage de l'italique n'arrange rien. Quelques lignes plus loin :
Non mais c'est pas vrai, c'est pas vrai !
Et ça continue page suivante :
Maman est morte. Morte, morte, morte, trois fois morte !
Puis quelques lignes plus loin :
Arrêtez, c'est plus drôle. Ça va bien un moment mais là c'est plus marrant.
Allez, encore une, pour la route, page 107 :
C'est la dernière fois qu'avec maman nous nous sommes pris dans les bras pour de bon. Ça n'arriverait plus jamais.
On notera aussi l'utilisation de mots à la mode, aujourd'hui mal employés. Exemple avec "compliqué", utilisé à la place de difficile. Page 96 :
Mais pour mon frère et ma soeur, c'était vraiment trop compliqué.
Dans le contexte, il signifie bien "difficile". Les métaphores plates abondent, comme page 202 :
Je croyais voir en elle comme dans l'eau claire.
Ou page 231, lorsqu'il emmène son père en Espagne :
Et j'ai vu que dans ses yeux le soleil andalou brillait déjà.
Quand même ! Le soleil qui brille dans les yeux, faut pas faire ça. Comme dit Camus, un homme, ça s'empêche !
En face, j'ai trouvé assez peu de belles choses à faire valoir. En voici une tout de même, lorsque l'auteur découvre le cadavre de sa mère, page 212 :
En découvrant son visage, j'ai d'abord cru qu'il y avait une erreur. Car si la personne dans la boîte portait bien les vêtements de maman, son pull marin vert, son foulard, son jean et ses chaussures, à l'intérieur, pour sûr, ce n'était pas maman du tout. Elle avait un rictus étrange et artificiel au coin des lèvres qu'elle n'aurait jamais eu vivante, les traits marqués, les joues creusées. Et ce teint cireux ! Elle ressemblait à une énorme bougie moulée. L'absence complète de vie donnait à son corps une pesanteur gigantesque. Elle s'était transformée en une masse compacte, dense et lourde, que la gravité rappelait à la terre. Il fallait chercher, se concentrer, pour trouver quelque chose de maman dans ce visage étranger.
L'expérience a résonné pour moi. Lorsque j'ai vu ma mère morte, je n'ai pas aimé l'expérience : ce n'était plus elle du tout. Je n'ai donc ressenti aucune tristesse puisqu'il s'agissait, en effet, d'un "corps étranger". Plutôt un certain malaise. C'est ici assez bien décrit.
Parfois aussi, le côté mélo verse du bon côté. Page 227, juste après la crémation :
Alors que les portes se refermaient doucement, papa a levé sa main bien haut et a lancé un grand "Allez, salut !". J'ai levé ma main à mon tour, j'ai ajouté "Et merci pour tout !" et j'ai explosé en sanglots dans ses bras. On a pleuré fort, on a pleuré juste, on a pleuré comme il fallait.
J'ai trouvé cette scène assez émouvante. C'est hélas l'un des rares exemples que je puisse fournir.
En somme, ce texte serait à mes yeux plus destiné à un usage familial : une sorte de journal intime qu'on pourrait faire lire à ses frères et soeurs, à ses proches qui ont partagé cette épreuve. L'éditer était une très mauvaise idée. Selon moi bien sûr, puisque ma propre soeur, qui m'a fait passer ce livre, a, elle, été très touchée. Disons plus simplement que ce n'était pas pour moi.
Créée
le 17 janv. 2024
Modifiée
le 17 janv. 2024
Critique lue 5 fois
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