Ben oui, hein, ne nous y trompons pas : "Il y a place pour deux", ce n'est pas un titre comme ça, choisi au hasard, ça a EVIDEMMENT un sens érotique, et même carrément pornographique. Je ne spoilerai que cette histoire, mais la fille qui dit ça, elle le fait parce qu'elle est avec un de ses amants, un de ses orifices est occupé, et comme le second amant débarque inopinément, elle lui dit de se caler confortablement dans le second orifice.
Ce recueil, publié par une très jolie maison d'édition, sous forme d'un carnet de feuilles volantes avec un charme tout à fait intimiste, rassemble une vingtaine de brèves, voire très brèves (une ou deux pages) histoires de Sade. Bien loin du roman fleuve aussi sadien que sadique sous forme de liste, bien loin du dialogue porno-philosophique, on est dans l'anecdote érotique, galante, cruelle parfois mais parfois juste maligne, et croustillante, drôle, bien trouvée ou juste d'une élégante saleté et sagacité. Non seulement ça se mange sans faim, mais en plus c'est extrêmement bien écrit, parfois remarquablement obscur dans les développements périphrastiques, mais toujours ludique, toujours croquant. Qu'on ne s'attende pas à forcément beaucoup de suspense ; on connaît Sade, on devine souvent assez vite où il veut en venir. Mais le plaisir et la malice se ressentent tellement dans son écriture qu'ils gagnent tout lecteur...
Comme le dit assez justement la description de la fiche, ces historiettes ont l'avantage non-négligeable de permettre de (re)découvrir l'écriture sadienne, qui dévoile tout son potentiel dans le format court. Pour cela, ce recueil constitue un véritable écrin, loin des clichés selon lesquels Sade ne serait qu'un monstre immoral, un provocateur fou, l'incarnation même de l'aristocrate décadent fin de siècle. Alors certes, peut-être ; mais Sade, ce n'est pas que ça. A mon directeur de mémoire, qui est le premier à haïr la prose sadienne, et à vous autres : par pitié, ne vous arrêtez pas à de bêtes considérations de morale. Sade n'est pas toujours le plus subtil des écrivains ; il n'est pas moralement défendable ; il n'est pas foutrement doué en structure narrative, son credo c'est plutôt l'énumération... Mais c'est un écrivain absolument talentueux, qui excelle en imagination, en concision (quand il le veut bien), et en style. La preuve ? En une ou deux pages, il parvient à rendre immersif un texte tout bête - et pas forcément en parlant de fesses ! C'est une jolie expérience de lecture ; Sade a été mon compagnon de métro pendant deux semaines, entre mes allers-retours à la bibliothèque, et il m'a permis de faire des coupures ludiques dans mon travail. Et puis comme je le dis souvent, ce genre de titres, ça fait son petit effet dans le métro. Je recommande chaudement.

Eggdoll

Écrit par

Critique lue 292 fois

4
2

Du même critique

L'Insoutenable Légèreté de l'être
Eggdoll
10

Apologie de Kundera

On a reproché ici même à Kundera de se complaire dans la méta-textualité, de débiter des truismes à la pelle, de faire de la philosophie de comptoir, de ne pas savoir se situer entre littérature et...

le 11 mars 2013

156 j'aime

10

Salò ou les 120 journées de Sodome
Eggdoll
8

Au-delà de la dénonciation : un film à prendre pour ce qu'il est.

Les critiques que j'ai pu lire de Salo présentent surtout le film comme une dénonciation du fascisme, une transposition de Sade brillante, dans un contexte inattendu. Evidemment il y a de ça. Mais ce...

le 6 mai 2012

71 j'aime

7

Les Jeunes Filles
Eggdoll
9

Un livre haïssable

Et je m'étonne que cela ait été si peu souligné. Haïssable, détestable, affreux. Allons, c'est facile à voir. C'est flagrant. Ça m'a crevé les yeux et le cœur. Montherlant est un (pardonnez-moi le...

le 22 mars 2017

50 j'aime

5