On ne ressort pas de la lecture de l'Iliade insensible. C'est un si ce n'est le grand monument de la littérature antique, et censé être la base de notre culture -au moins littéraire- occidentale. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut s'attendre à une œuvre qui dépasserait la perfection, ni d'ailleurs à un texte poussiéreux illisible. Au final, c'est une œuvre bonne, parmi tant d'autres, sur laquelle les gens peuvent avoir des avis différents. Ça paraît à la fois tout bête et inimaginable, mais oui, je crois bien que l'Iliade est simplement un bon texte. Après tout, si elle doit être la base de notre littérature, pourquoi cette épopée serait autre chose qu'un texte simplement bon, simplement "normal" ? C'est donc pour ça que je ferai une critique "normale" en présentant ce que j'ai aimé et ce que j'ai moins aimé dans cette œuvre.
L'Iliade, c'est long. On a effectivement des moments où sincèrement, on s'ennuie un peu. Puis le style d'Homère, c'est particulier : on a parfois des comparaisons qui s'étendent sur des paragraphes entiers pour pas dire grand-chose. Cela fait partie du "folklore" on va dire, de la poésie homérique, mais force est de constater que pour un lecteur contemporain, ça a de quoi faire souffler parfois. Certaines discussions s'éternisent (on peut penser au chant XIX, dans lequel Achille et Ulysse débattent, en opposant par deux fois exactement les mêmes arguments à eux-même (en gros, Achille dit A, Ulysse dit B, Achille se trouve donc très intelligent en disant A, et Ulysse répondra immanquablement B), puis le fait de lire les messagers qui répètent à chaque fois au mot près ce que leur a dit leur destinateur quelques lignes plutôt, bon.
Autre chose qui pourrait être apparenté à une longueur, mais qui m'a paru intéressant, c'est le fait qu'à chaque soldat mort, on doive se farcir ses exploits, sa famille, son origine etc. Oui, c'est peut-être artificiel, mais en réalité ce n'est pas vraiment un défaut pour moi : en racontant tout ça, on fait de ces guerriers morts des personnages, ce qui fait que "l'armée" n'est pas une masse uniforme, mais bien un groupe de plusieurs individualités qui ont leur histoire, et à qui on aurait pu s'attacher. Cela rend toutes ces morts bien plus palpables, et donc plus émouvantes.
Registre épique oblige, l'Iliade parle d'une guerre. Mais là est le point fort de l'œuvre ; elle fait de ce sujet très négatif un sujet grand. La guerre de Troie n'est pas une guerre cruelle, c'est une guerre où la justice, le fair-play, la grandeur doivent primer. Les acteurs de la guerre ne sont pas des brutes, ce sont des hommes sensibles, qui ont des principes, et qui ont l'honneur comme mot d'ordre. Les chefs, comme les initiateurs du conflit combattent eux aussi, parmi les premiers rangs. Il ne s'agit pas pour moi ici de faire l'éloge de la guerre -loin de là, si "juste" puisse-t-elle être- mais plutôt d'assumer que, comme motif littéraire, et plus généralement artistique, effectivement, la guerre est un sujet passionnant (laissons la donc aux arts !).
Parlons maintenant des personnages : ils ne sont pas tant intéressants en eux-mêmes que dans leurs relations entre chacun. La tension du texte tient dans les rapports entre dieux, entre dieux et hommes, et entre hommes. Si les querelles des dieux peuvent paraître ennuyeuses (et certaines le sont en effet, ce sont un peu des drama queen parfois), on ne sera pas déçu des pièges comme des aides qu'ils feront aux hommes. Cela donne des scènes impressionnantes (comme au chant XXI, dans lequel Achille doit s'extirper des torrents du dieu fleuve Xanthe).
Puis l'Iliade parle des passions les plus communes : l'amour, l'amitié, le deuil, la colère. C'est en ça qu'elle est une œuvre universelle. Elle parle à tout le monde.
Je conclurai sur ça. La lecture de l'Iliade reste compliquée, le travail de traduction n'a pas pu vraiment moderniser le texte (et ce n'est pas plus mal d'une certaine manière) et ça peut sembler parfois poussiéreux, certaines formules, certains passages sonnant faux pour nous lecteurs d'aujourd'hui. Est-ce que c'est un texte que je conseillerai ? Pour un vrai passionné, ou pour quelqu'un qui fait des études en lettres (coucou) ou dans la culture antique, ça me paraît être la base, mais pour tout autre au final c'est loin d'être un indispensable selon moi, tant que l'on connaît un peu les mythes. Comme dit en introduction, ce texte n'est pas un objet mystique refermant le sens de l'univers. Mais à quelqu'un qui se sentirait et aurait vraiment envie de se lancer, je l'encourage, l'Iliade vaut quand même le détour.