Un homme est accusé de meurtre. Face à lui, un juge d’instruction l’interroge pour tenter de lui faire avouer qu’il a bien poussé dans le vide un homme lors d’une randonnée en montagne, dans la région des Dolomites en Italie. Un homme qu’il connaissait bien, un ancien compagnon de combat qui se serait retrouvé sur son chemin par hasard en pleine montagne, alors qu’ils ne s’étaient pas revus depuis des années ?
Une hypothèse à laquelle le juge d’instruction ne croit pas. Lui pense que cette chute vertigineuse dans le vide n’a rien du hasard et qu’il s’agit bien d’un meurtre prémédité par l’accusé. Il faut dire que les deux hommes avaient un passé en commun, l’un et l’autre avaient été des amis très proches il y a bien longtemps, unis autour d’une cause commune au sein d’une organisation clandestine politique. Et puis leur route s’étaient séparées le jour où la victime a été identifiée comme étant un traître à l’organisation.
C’est récit en forme de huis clos dans un dispositif très théâtral que nous offre là Erri De Luca. Un face-à-face tendu, qui rappelle par certains aspects le film Garde à vue de Claude Miller dans lequel Lino Ventura tentait de pousser dans ses retranchements un Michel Serrault accusé de meurtre.
Contrairement au film, dans cette histoire imaginée par l’auteur de Montedidio, le juge et l’accusé échangent de manière très courtoise, sans jamais hausser le ton, sans jamais s’énerver, dans un dialogue exempt de toute émotion, avec deux hommes jouant finement une partie d’échecs dans laquelle chacun semble vouloir ne rien lâcher.
L’interrogatoire est entrecoupé de lettres que le prévenu envoie à sa bien-aimée, lui racontant les conditions de sa détention, ses rapports avec le juge dans des propos très touchant, comme des respirations dans ce jeu de questions / réponses incessant.
On retrouve dans ce livre ー presque comme une synthèse de l’œuvre de Erri De Luca ー la plupart des thèmes de prédilection de l’auteur que sont l’amour, l’amitié, l’engagement politique et bien sur la montagne.
Un roman à la fois posé et tendu, présenté sous la forme d’un procès-verbal, sans le moindre nom ni prénom, qui permet à l’auteur italien de se souvenir de ses années de militantisme, quand lui-même a subi de nombreux interrogatoire judiciaire. Un roman court sur lequel le doute plane en permanence et qui se lira tranquillement comme pour mieux déguster et apprécier une langue toujours aussi précise et généreuse qu’est celle de Erri De Luca.
https://www.benzinemag.net/2020/10/08/impossible-de-erri-de-luca-duel-au-sommet-de-la-litterature/