Malgré tout le respect que je vous dois, Monsieur Hessel,

Malgré votre admirable passé,

Malgré vos remarques pertinentes quand vous affirmez notre devoir de ne pas accepter « cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l'égard des immigrés », cette politique qui détruit les acquis sociaux et les fondements de notre pays établis à la Libération ou encore la nécessité de s'opposer à la dictature des marchés financiers ou à la mise en avant de l'égoïsme le plus exacerbé,

Malgré cette critique de la politique de la droite, celle de Sarkozy, et de l'évolution du monde actuel, à laquelle je souscris,

Malgré tout cela, je me dois non pas de m'indigner, ce serait excessif, mais d'affirmer les faiblesses de votre opuscule que je trouve :

Un peu moralisateur, empli de bons sentiments et de bonnes paroles parfois un peu creuses (exemple : « il ne faut pas laisser s'accumuler trop de haine ») voire un peu culpabilisant : « la pire des attitudes est l'indifférence ». C'est sûrement vrai, mais ce n'est pas en assénant ce genre de vérité que vous aiderez le lecteur à s'en départir.

Un peu prétentieux quand il énonce des banalités : vous affirmez qu'« on peut déjà identifier deux grands nouveaux défis », que je résume ainsi : l'écart croissant entre les très riches et les très pauvres ; la question des droits de l'homme et celle de l'environnement ! (ah, ce sont de nouveaux défis ?)

Un peu condescendant avec un discours de « vieux con », si je peux me permettre, prenant un peu les jeunes pour des benêts : « Mais dans ce monde, il y a des choses insupportables. Pour le voir, il faut bien regarder, chercher. Je dis aux jeunes : cherchez un peu, vous allez trouver ». Désolé, mais jeune ou moins jeune, l'insupportable est là, sous nos yeux, pas besoin de chercher bien loin. Vous appelez les jeunes générations à s'indigner, comme si elles ne le faisaient pas. Je pense que les nouvelles générations sont aussi indignées que les précédentes, mais je crois aussi qu'il est très difficile d'aller au-delà de cette indignation, pour plein de raisons. C'est bien beau de dire « cherchez, vous trouverez à vous indigner », je trouve que c'est un peu méprisant, c'est présager que les jeunes ne s'indignent plus. La vraie question pour moi n'est pas de s'indigner ou de ne pas s'indigner mais plutôt celle des moyens : que peut-on faire pour ne pas se cantonner à l'indignation et accepter sans rien faire la situation : que peut-on faire, comment agir ? La réponse, évidemment, n'est pas simple. Certes, on assiste peut-être à une banalisation de l'indifférence, mais je ne crois pas qu'on devient forcément militant quand on est indigné. Cela ne suffit pas.

Un peu désobligeant envers ceux qui n'ont pas eu vos convictions ou se sont fourvoyés dans des chimères : vous présentez vos choix passés, à savoir la résistance, la décolonisation et l'anti stalinisme comme des évidences. Ils l'étaient pour vous, je n'en doute pas une seconde, et j'ose espérer que j'aurais comme vous été de ces côtés-là, mais ces choix n'étaient pas si évidents, les résistants n'étaient qu'une minorité, de même que les trotskystes étaient bien moins nombreux que les communistes.

Un peu démagogue ou utopique. Vous parlez de Vichy et affirmez : « si, aujourd'hui comme alors, une minorité active se dresse, cela suffira, nous aurons le levain pour que la pâte lève ». D'abord, même si je suis comme vous outré par de nombreuses mesures du quinquennat Sarkozy, il me semble que les périodes ne sont pas comparables. Ensuite, même si nous devons beaucoup aux résistants français, n'oublions pas que leur combat aurait été vain sans l'intervention des alliés. Enfin, j'ai pour ma part du mal à adhérer au concept d'avant-garde éclairée. Je ne crois pas à la minorité active. Je ne dis pas qu'il ne faut pas qu'elle existe, j'affirme seulement que cela ne peut suffire.

Bref, je trouve que vous n'allez pas assez loin dans le fond, au-delà de l'indispensable indignation que vous évoquez, et que votre opuscule pèche dans la forme, avec une structure peu convaincante et un ensemble décousu, notamment avec le passage sur la Palestine qui n'était sans doute pas indispensable.

Je ne vous en veux pas, vous avez un passé respectable, et vous avez permis avec le titre de cet ouvrage de donner un nom aux révoltes de certains, mais sachez tout de même que je suis déçu par cette production qui au final n'apporte pas grand-chose même si je suis globalement d'accord sur le fond et qui n'évite pas de trop nombreuses maladresses.

Malgré ces quelques remarques qui n'entachent en rien le respect et l'admiration que je ressens pour votre glorieux passé, je vous prie d'agréer, cher Monsieur, l'expression de mes salutations distinguées.
socrate
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le 3 juil. 2012

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socrate

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