Iphigénies.
Le titre résume le problème principal que j'ai avec cette pièce. Mais je vais développer. Qu'on s'entende, Iphigénie, c'est une jolie tragédie. Mais elle est d'autant plus douloureuse qu'elle est...
le 26 août 2017
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C'est sous ce titre fabuleux que je me propose de vous exposer pourquoi le sacrifice humain le plus connu de l'histoire m'a cette fois laissé tel les statues des héros antiques auxquels Racine n'a pas su faire honneur à mon humble avis : de marbre.
Iphigénie, comme son nom le laisse supposer, est la version de la légende/pièce de théâtre qui nous est connue notamment et surtout par Euripide et Homère. L'armée grecque réunie sous les ordres d'Agamemnon au port d'Aulis s'apprête à traverser la Méditerranée afin de botter le train aux Troyens et de récupérer la légendaire Hélène (en gros c'est la version antique du "Zyva tu m'as chouré ma meuf j'vais t'niquer ta race"). Sauf que voilà les dieux ont décidé de faire chier, pour des raisons qu'il n'est pas utile de développer, et exigent d'Agamemnon le sacrifice de sa fille ainée, Iphigénie, afin de lever les vents qui permettront aux navires de prendre la route vers Ilion (c'est le mot pédant pour Troie les copains). Le pauvre bougre s'y refuse d'abord mais finit par céder sous l'insistance de Ménélas (Ulysse dans la version de Racine). Il envoie donc un messager à la maison demandant à sa fille de ramener ses miches pour se marier avec Achille avant le départ des navires... SAUF QU'ELLE VA MOURIR MOUAHAHAHAHAHAHA!
Voilà. Il me reste à vous parler des quelques différences importantes qu'entretient la version de Racine avec la tradition, parce que ça aura du sens dans mon commentaire (je vous en déconseille la lecture si vous voulez vous farcir cette pièce à tout prix). J'inclus aussi dans mon spoiler une partie de l'explication de ce qui m'a déplu, en lien avec ces différences.
Racine va se servir du personnage d'Eriphile, une captive d'Achille, comme grande méchante de la pièce, en instaurant un triangle amoureux Eriphile -> Achille -> Iphigénie. La conne d'Eriphile va dénoncer la tentative de tout le monde de protéger Iphigénie ce qui aura pour effet de la faire passer à un cheveu du sacrifice. Je dis un cheveu car au moment où la malheureuse se trouve devant l'autel sacrificiel, Calchas - l'oracle -, possédé par un dieu (lequel, c'est pas fort clair il me semble), révèle à tout le monde qu'en fait le vrai nom d'Eriphile c'est Iphigénie et que c'est elle qui doit être sacrifiée et pas la fille d'Agamemnon. Donc la méchante est tuée, la gentille peut se marier avec son fiancé, les Grecs vont péter la gueule aux Troyens et tout est bien qui finit bien.
Sauf que... c'est... complètement con. Mais complètement. Cette fin "Disney" casse tout l'intérêt dramatique de la pièce. Le sacrifice d'Iphigénie, c'est la transgression d'un énorme tabou, le meurtre de sa fille pour l'intérêt politique. Qui va déterminer en partie les événements de la guerre de Troie, le destin d'Agamemnon et celui du reste de sa famille. C'est charnière. Réduire cela à une intrigue stupide de cour (j'insiste, stupide), c'est limite choquant. Le personnage d'Eriphile est d'ailleurs un des gros problèmes de cette pièce : finalement elle prend toute la faute sur elle, c'est la seule méchante. Du coup, ni Agamemnon, ni Achille, ni Ulysse, ni aucun autre personnage n'assume ses actes. Même les dieux du coup sont juste des papys gentils et bienveillants au lieu d'être les déités cruelles et capricieuses qu'elles devraient être. Où est le conflit entre intérêt politique, personnel et divin ? Qu'on soit bien clair, je ne reproche pas à Racine son manque de fidélité. Je lui reproche d'avoir commis une oeuvre creuse et dépourvue du moindre sens, si ce n'est que les aristos finiront toujours par faire le bon choix, que les gentils seront récompensés et que les méchants seront punis. Putain. Si c'est pour dire ça je préfère encore mater Saint Seya.
Ca, c'est mon principal reproche. Ensuite. Du point de vue de la forme, mis à part un ou deux vers à peu près jolis, Iphigénie n'est pas vraiment une oeuvre marquante. C'est très classique, dans tous les sens du terme, sans pour autant avoir le souffle qu'on retrouve dans le Cid par exemple (non, je compare pas Racine et Corneille, je prends juste l'oeuvre qui me semble la plus emblématique). Quelques pirouettes amusantes pour respecter les règles poético-dramaturgiques peuvent faire sourire, mais on en est justement là. Pour moi, aussi bien dans son fond que dans sa forme, Iphigénie peut être vu comme un échec du classicisme. Tous les angles sont arrondis pour respecter la bienséance, les contraintes stylistiques, la morale classique. Je me dis qu'à l'époque ça a pu justement être perçu comme une marque de génie : parvenir à démonter et remonter une pièce antique emblématique pour en faire la pièce la plus classique qui soit, avec des phrases tournées ridiculement pour arriver à l'alexandrin et à la rime, avec une morale manichéennes, avec des personnages qui luttent pour ne pas être "barbares" (le mot revient régulièrement dans la pièce). Mais à quel prix ? Tout a été vidé de sa substance pour n'être rien d'autre qu'une variation sur le thème du classicisme, à laquelle on a simplement donné les apparences de l'hellénisme.
Et que dire de cette posture outrageusement flagorneuse envers les puissants ? Tous les nobles de la pièce sont des types bien, à l'exception d'Eriphile, l'étrangère. C'est l'Armée, la populace, qui exige le sacrifice. Tous les autres, même Ulysse qui a manipulé Agamemnon pour le forcer à commettre le sacrifice, se révèlent finalement tellement vertueux que chacun des pores de leur peau vomissent la grandeur et la majesté.
Je pense cependant qu'il s'agit d'une lecture intéressante. Elle montre le revers de la médaille: face à ce que le classicisme a produit de mieux, l'on a ce paradoxe de l'uniformisation, de la conformité aux valeurs de la classe régnante. Si le génie émerge parfois des contraintes, il ne faut pas oublier que la plupart du temps elles ne sont que des entraves. Ce n'est pas que c'est une mauvaise pièce, c'est qu'elle a été tellement standardisée qu'elle aurait pu aussi bien s'appeler "Isaac au pays des Bisounours" ou "Aimez-moi s'il vous plait".
Créée
le 9 nov. 2015
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