Ivanhoé
7.3
Ivanhoé

livre de Walter Scott (1819)

Le prototype du roman d'aventures historique

Étrangement, je n'avais jusqu'à présent jamais lu "Ivanhoé". À vrai dire, je ne savais même pas vraiment ce que racontait le roman, hormis qu'il se déroulait en Angleterre sous le règne de Richard Coeur-de-Lion et qu'il mettait en scène l'un de mes héros favoris : Robert de Locksley, alias Robin des Bois. Si je suis bien content d'avoir enfin découvert ce grand classique, je suis loin de m'être régalé autant que je l'avais espéré. Il faut être honnête : ce roman a assez mal vieilli. L'aura dont il continue de bénéficier aujourd'hui tient sans doute à deux éléments essentiels : d'abord son statut d'oeuvre fondatrice d'un genre (le roman d'aventures historique médiéval) doté d'une belle postérité, mais aussi (surtout ?) l'effet "madeleine de Proust" pour des lecteurs à qui il évoque la bibliothèque familiale ou un film avec Liz Taylor...


Le premier écueil à la lecture "d'Ivanhoé" est son style, certes dans le goût de l'époque de sa rédaction, mais assez indigeste aujourd'hui. Quand on termine une phrase en ayant oublié par quoi elle commençait, ce n'est jamais bon signe... Pour caricaturer, Walter Scott a presque une écriture de juriste ou de philosophe, qui dit en beaucoup de mots ce qu'il pourrait dire en peu... Cette fâcheuse tendance à la digression, au remplissage inutile et au coupage de cheveux en quatre caractérisant le style de l'auteur se retrouve aussi dans la narration elle-même : si le roman est épais (environ 700 pages dans sa version intégrale en poche), il ne contient pas tant de péripéties qu'on pourrait le croire en premier lieu ; avec un tant soi peu d'efficacité narrative, l'histoire que nous raconte Walter Scott aurait pu tenir en moitié moins de pages... ce qui pour le coup justifie les innombrables versions abrégées et expurgées qu'a subi l'oeuvre depuis sa parution, à la manière de "Moby Dick" qui souffre du même mal.


En plus de la lourdeur du style, il est difficile de passer outre certaines maladresses assez grossières. Par exemple, à quoi bon entretenir durant 500 pages le mystère sur l'identité d'un personnage masqué si c'est pour rapidement éventer le secret au détour d'une note explicative ? Est-il judicieux de signaler au lecteur, au terme d'une longue description, qu'il vient de lire un plagiat de tel ou tel ouvrage historique de référence ? Fallait-il vraiment nous donner en bas de page la définition de l'arbalète, et nous répéter par trois fois ce qu'est un carreau ? Par contre je serais moins sévère avec les quelques incohérences et anachronismes, qui m'ont moins agacé que fait sourire : ainsi cette improbable allusion de Rébecca à l'émir Boabdil de Grenade, trois siècles avant le règne de celui-ci !


En parlant de Rébecca, assurément l'un des personnages marquants du roman... Ceux qui assimilent "Ivanhoé" à un infâme pamphlet antisémite sont bien entendu à côté de la plaque : oui, la quasi totalité des personnages du roman ont, en paroles ou en actes, un comportement scandaleux vis-à-vis des Juifs, et du malheureux Isaac d'York en particulier ; Walter Scott en fait même l'un de ses principaux ressorts scénaristiques... Mais l'auteur ne manque pas une occasion de souligner l'absurdité de ces préjugés, et ce qui est montré au lecteur dans ces pages en matière d'antisémitisme ne correspond qu'à la tragique réalité de l'Occident médiéval (la communauté juive sera d'ailleurs expulsée d'Angleterre par le petit-fils de Jean sans Terre). Le roman a déjà suffisamment de défauts pour ne pas aller en chercher de ce côté-là. Au contraire, cette insistance sur l'un des aspects les moins reluisants de notre Moyen-Âge est à mettre à son crédit.


Car malgré tout, "Ivanhoé" ne manque pas de qualités. L'histoire demeure plaisante en dépit de ses longueurs. Les personnages sont bien campés, plutôt attachants, et leurs caractères sont étonnamment nuancés. L'atmosphère de l'époque médiévale, outre l'antisémitisme déjà évoqué, est bien rendue, surtout quand on songe que ce roman a été écrit lorsque la recherche historique était encore peu avancée. Pour ce qui est de l'écriture de Walter Scott, on notera un sens de la formule qui fait mouche, donnant parfois lieu à des dialogues savoureux... lesquels cohabitent, hélas ! avec de longs bavardages tout à fait pesants.


Avec "Ivanhoé" on a l'un des prototypes du roman d'aventures historique, et comme tout prototype, le modèle a été perfectionné par ses successeurs. On est globalement bien en-dessous, à mon sens, de ce qu'ont produit dans les décennies suivantes des écrivains comme Dumas ou Sienkiewicz, pour ne citer que des "pointures" du genre. Pourtant "Ivanhoé" mérite assurément d'être lu, ne serait-ce que pour y repérer ce qui a pu inspirer tant d'auteurs au cours des deux derniers siècles... et ce qui, depuis, a été amélioré.

Oliboile
6
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Créée

le 2 sept. 2017

Critique lue 1.4K fois

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