J'ai lu un certain nombre de livres sur le sujet de l'intimidation, autant dans les romans que les albums, et très souvent, on s'intéresse au bourreau ou à la victime. On commence enfin à réaliser l'importance du rôle du témoin. Il en existe deux types: les passifs, ceux qui voient, mais ne disent rien, et les actifs, ceux qui voient et réagissent. Dans cet album, on traite de la difficulté de passer de l'un à l'autre des rôles.



Une jeune fille voit une camarade de classe subir les brimades psychologiques, verbales et physiques de trois harceleur.se.s Ce trio semble tirer beaucoup de plaisir à tourmenter cette jeune fille. Cette dernière subit sans rien dire. Notre témoin s'indigne intérieurement, sa colère et son sentiment d'Injustice ne font que grandir à chaque nouvelle scène. Mais il y a la peur aussi, celle de devenir une cible. Est-ce qu'elle finira pas laisser parler sa colère et dénoncer ces trois canailles?



Donc, trois choses à retenir pour ma part:



Les témoins passifs sont indirectement complices de l'intimidation, sans chercher à mal. Les intimidateurs ne prennent pas seulement plaisir à tourmenter leur victime, ils se convainc qu'ils peuvent continuer parce que personne ne les dénonce. Garder le silence est un acte tacite d'assentiment face à la situation, qu'on le veuille ou non. C'est pourquoi dénoncer est impératif. Par contre, en théorie c'est simple, en pratique, la crainte des représailles est souvent un facteur dissuasif. Après tout, il arrive souvent que les intimidateurs aient une réputation qui les protège, que ce soit les populaires ou les petites brutes de la cours de récréation.



Ce qui n'amène au second point: Les complices directs. Les intimidateurs sont des lâches, très souvent, aussi se sentent-ils plus forts en groupe. Mais leur lâcheté est aussi souvent leur faiblesse: devant plus nombreux, ils peuvent ne rien tenter. Ils attendent donc les moments où ils sont surs de pouvoir agir en toute impunité. Souvent, les témoins passifs ne leur pose pas problème, car ils savent souvent qu'un seul témoin aura peur de les dénoncer. Et quand ils réalisent que même une grande partie de témoins passifs ne font rien, ils se sentent intouchables.



Dans "je marche avec Vanessa" ou encore "Le chant de la grive", ont voit cette force du nombre des témoins passifs devenir actifs balayer l'intimidateur et ses mots méchants. Ici, nous avons une seule témoin, qui hésite. Et là vient mon troisième point: nos émotions.

Notre petite demoiselle est empathique, elle voit très clairement que la victime est malheureuse et souffre. En même temps, la colère est présente, elle est nourrie par le sentiment d'injustice. Et un jour, cette colère va éclater et surpasser sa crainte de subir les foudres des canailles qui s'attaquent lâchement à la victime.

La colère est une émotion trop souvent décrite et dépeinte comme "négative" et je le déplore. Certes, elle peut avoir un côté explosif et il fait peur à beaucoup de gens. Mais la colère, comme toutes les émotions, a des nuances et des formes variées. Ici, c'est une colère très légitime et très salvatrice. Elle est motivée par le constat d'une situation problématique et elle nait de la capacité d'empathie envers un autre être humain. C'est ultimement cette colère qui va permettre à la peur de passer en second plan et permettre la dénonciation du harcèlement. Il me semble que ça se célèbre ça. Il faut dire aussi, que la colère n'est pas de hurler ou de taper, elle ne se solde pas par l,expression d'un comportement inapproprié ou mal géré tout le temps! La colère a une fonction, c'est un messager et dans le cas de la colère, elle sert à poser des limites sur ce qu'on accepte de vivre ou non. Elle défend nos valeurs aussi et mobilise face à des injustices. Quand elle est bien gérée, la colère est une formidable alliée. Il est temps qu'on en prenne conscience.



Je note également que les témoins qui dénoncent ont d'autant plus d'importance que la victime n'est pas en position de dénoncer ce qu'elle vit. Si les témoins ont peur des harceleurs, imaginez ce que ressent la victime? L'intimidation est une relation d'emprise, en conséquence de quoi le rapport de force est cruellement inégal. La victime se fait dénigrer, rabaisser, insulter et même isoler des autres. On est dans une dynamique toxique qui rend très vulnérable la victime et plus le temps passe, pire est cette vulnérabilité, car le bourreau prend en confiance et la victime perd en estime de soi. Dans ce contexte - et j'ai vu des livres laisser entendre du contraire - ce n'est pas toujours possible de demander à la victime de dénoncer. Souvent, elle ou il est terrorisé. de plus, il arrive souvent que la honte empêche la victime de parler. C'est pour ces raisons que j'estime que la dénonciation et la solidarisation des témoins passifs est impérative. Non seulement ils ont le pouvoir de briser la bulle du sentiment invulnérabilité des intimidateurs, mais ils peuvent réellement faire changer la situation pour la victime, qui n'est plus seule et n'est plus invisible.



S'il y a bien un gros problème dans notre système actuel c'est celui de banaliser l'intimidation et de trop souvent attendre les dénonciations des victimes. Et quand ils et elles le font, on ne sait pas trop comment gérer et c'est souvent la victime qui se retrouve à quitter son école, à subir encore plus de brimades et parfois même, à attenter à ses jours. L'intimidation, c'est très grave, il serait donc temps de comprendre sa dynamique. Les témoins en font parti.



Bref, j'aime beaucoup cet album qui donne le point de vue de celle qui regarde et constate. Et j'aime voir la colère grandir pour atténuer sa crainte de s'exprimer. Ce que je vois, c'est une fille qui se déouvre du courage, qui n'est pas l'absence de peur, mais bien à la capacité à surmonter sa peur. Elle incarne ce qui fait défaut aux intimidateurs, justement, ces lâches qui prennent plaisir à tourmenter une autre personne. Je pense qu'il y a aussi de la culpabilité à ne rien dire dans cette situation et c'est recevable. Qu'elle se sente coupable illustre qu'elle sait qu'elle peut changer la situation, elle sait que cette situation est incorrecte, mais elle doit maintenant trouver en elle les outils pour renverser cet état des choses. D'ailleurs, en dénonçant, fort à parier que la fierté d'avoir agit en accord avec ses valeurs va naitre, et ça, c'est un sentiment très agréable à vivre.



Un bel album pour parler d'intimidation, sur le rôle que nous pouvons jouer, sur les impacts sur les victimes et sur les émotions que cette situation peut faire vivre aux témoins.



Pour un lectorat à partir du 1er cycle primaire, 6-7 ans+

Shaynning

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