L'auteur nous livre ici une analyse détonnante, féroce mais pleine de justesse des réactions politiques et populaires à l'attentat contre Charlie Hebdo.


Vaquette fustige en particulier l'hypocrisie des « Charlie », aux premiers rangs desquels hommes politiques et « intellectuels », tous ceux-là qui, dans les jours qui ont suivi l'attentat, se sont présentés comme les plus farouches défenseurs de la liberté d’expression alors que dans la pratique 99% d'entre eux la méprisent, la détestent.


Ils la détestent, oui, parce que le principe de la liberté d’expression, sa grandeur, nous dit Vaquette, c’est précisément de tolérer toutes les expressions, et en particulier celles qui heurtent, qui nous choquent. Pour Vaquette, on ne peut pas, en matière de liberté d’expression, faire du deux poids deux mesures, sauf à être forcément injuste et à être un ennemi de cette liberté d'expression. Or, précisément, ce qui caractérise les "Charlie", dans leur quasi-totalité, c'est qu'ils n'ont défendu la liberté d'expression que pour eux-mêmes et pour ceux qu'ils estimaient avoir le droit de s'exprimer. On défend Charlie Hebdo, oui, mais pas par amour de la liberté d'expression : parce que Charlie Hebdo ne nous choque pas, contrairement à Dieudonné, par exemple, et d’autres qui eux peuvent être censurés et mêmes jetés en prison sans que cela nous interpelle…


Comment comprendre autrement qu'on puisse laisser s'inviter à la « marche républicaine » du 11 janvier des chefs d’Etats et de gouvernement parmi les pires adversaires de la liberté de la presse ? Comment comprendre autrement que l'on puisse prononcer de grands et beaux discours sur la liberté d’expression pour ensuite trouver parfaitement normal qu’on jette en prison une trentaine de pauvres bougres qui, dans un moment d'égarement, souvent sous l’effet de l’alcool, ont osé rire des attentats ou montré leur sympathie pour les frères Kouachi ? Comment comprendre autrement que, pour tout bilan du 11 janvier, le gouvernement prenne de nouvelles mesures pour restreindre encore un peu plus la liberté d’expression, comme le blocage administratif des sites internet désignés comme "incitant à la haine" et la sortie du délit de racisme du droit de la presse ?


Pour Vaquette, à vrai dire, la liberté d'expression n'a été chez beaucoup de ces "Charlie" qu'un masque présentable à des sentiments inavouables (racisme anti-arabes, rejet de la France des banlieues...), des sentiments sur lesquels il revient longuement dans ce livre.


L'auteur n'est « pas Charlie » parce qu'il ne veut, ne peut cautionner tant d'hypocrisie au sujet de la liberté d'expression. Il n'est « pas Charlie » aussi parce que cet épris de liberté ne peut pas accepter que les attentats de janvier soient le prétexte à une avalanche de nouvelles mesures liberticides, sécuritaires et répressives. Il n'est « pas Charlie » aussi parce qu'il se veut fidèle, lui, au véritable (mauvais) esprit Charlie, cet esprit libertaire, subversif et provocateur qui animait dans les années 60 à 80 Hara-Kiri et Charlie Hebdo (et dont Choron est la figure emblématique), cet esprit qui est à milles lieux de celui du Charlie Hebdo actuel et des autoproclamés « Charlie ».


L’auteur n’est « pas Charlie », donc, mais c’est bien aux « Charlie » que son livre s’adresse en particulier. Derrière le pamphlétaire, il y a aussi un pédagogue capable et soucieux d'expliquer ses arguments. Méchant, oui, mais sans jamais tomber dans le mépris de celui qui ne pense pas comme lui. Sa virulence est pleine d’humanité, de tendresse. Il y a là assurément un pamphlet à même de toucher les « Charlie » et à même de bouleverser leurs certitudes.


On peut ne pas être d’accord avec l’auteur, on peut ne pas partager ses idéaux libertaires, il n’empêche qu’il faut lui reconnaître une sincérité, une cohérence, une droiture qui sont autant d’antidotes à toutes les intoxications sur le sujet. Voilà un livre où l’auteur ne cache pas ses intentions, ne prétend pas défendre la liberté pour mieux justifier des mesures liberticides, comme le font hélas presque tous les « Charlie » médiatiques et politiques. Voilà un livre qui, parce qu’il remet les choses à leur place et redonne aux mots leur véritable sens, nous aide à y voir clair, nous encourage à penser et, en fin de compte, nous aide à nous faire une véritable opinion. Bref, une lecture utile et nécessaire pour cesser de prendre des vessies liberticides pour des lanternes de la liberté.


Et, pour ne rien gâcher : un livre diablement agréable à lire ! L’auteur emploie un ton véhément, désinvolte, drôle qui contraste radicalement avec la lourdeur et la solennité dont on est censé se couvrir dès que l’on évoque le sujet. Lire ce livre est vraiment revigorant et ce n’est pas un petit mérite tant, sur le sujet, on s'est appliqué et on s'applique toujours à nous tétaniser...

Arredondo
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 16 juin 2015

Critique lue 1.1K fois

3 j'aime

Arredondo

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

3

D'autres avis sur Je ne suis pas Charlie (Je suis Vaquette)

Je ne suis pas Charlie (Je suis Vaquette)
Arredondo
9

A lire surtout si vous êtes Charlie !

L'auteur nous livre ici une analyse détonnante, féroce mais pleine de justesse des réactions politiques et populaires à l'attentat contre Charlie Hebdo. Vaquette fustige en particulier l'hypocrisie...

le 16 juin 2015

3 j'aime

Je ne suis pas Charlie (Je suis Vaquette)
Deidre
9

Critique de Je ne suis pas Charlie (Je suis Vaquette) par Deidre

Je ne suis pas Charlie (Je suis Vaquette) est un court texte écrit dans la foulé des attentats de Charlie Hebdo, tentant de revenir avec lucidité sur ce qui a posé problème dans le traitement de ces...

le 23 sept. 2020

1 j'aime