Publié en 2006 dans la collection Grands fonds du Cheyne éditeur, ce premier livre d’Ito Naga, écrivain et astrophysicien français, est à première vue d’une grande simplicité, comme si son auteur nous incitait par la forme-même à aller au-delà des apparences, vocation du scientifique et de celui qui se questionne inlassablement sur le fonctionnement de la pensée et du langage.
L’assemblage de ces 469 fragments, phrases démarrant toutes par «Je sais» mais qui contiennent souvent une aussi grande dose d’incertitude et d’humilité que de connaissance, ébauche progressivement le portrait d’un homme, par une succession de fils rouges savamment agencés, une construction qui évoque Georges Perec et Joe Brainard auquel Ito Naga rend hommage, et plus récemment le «Souviens-moi» d’Yves Pagès (Éditions de l’Olivier, 2014).
Le portrait qui s’esquisse est celui d’un homme à la curiosité insatiable, suffisamment fort pour dévoiler ses failles, doté d’une agilité mentale inhabituelle et d’une bonne dose d’humour, d’une volonté de décrypter le monde qui ne doit jamais désarmer, en même temps que d’une capacité intacte d’émerveillement.
Une lecture touchante d’un scientifique amoureux des mots, de leurs qualités physiques autant qu’intellectuelles, et qui donne envie de continuer à le lire.
(Extraits)
«Je sais qu’on se représente toujours l’au-delà comme le cosmos. Pourquoi pas comme un terrier de lapin ?
Je sais que même les astronautes oublient que la terre tourne quand ils rentrent chez eux.
Je sais que la température c’est de l’agitation, que le monde existe en s’excitant.
Je sais que dans cet avion pour l’Asie centrale, il y avait des visages que je n’aurais jamais cru exister.
Je sais qu’être déstabilisé par un mot est moins un signe de faiblesse que celui d’une imagination fertile.
Je sais que si j’étais facteur, je ne pourrais m’empêcher de lire les cartes postales.
Je sais que les personnes petites sont souvent vives, comme si les connexions de leur corps étaient plus proches les unes des autres.
Je sais qu'à certains postes-frontières en Europe centrale, il y a des barbiers et des coiffeurs pour faire ressembler les voyageurs à leur photo d'identité.
Je sais que la rotation de la Terre est en partie à l'origine du vent, que sentir ce vent est comme sortir la tête hors de la Terre.
Je sais que la pensée est par moments comme un fleuve en crue, qu'on peut alors ressentir comment on devient bègue.
Je sais qu’on est sommé d’avoir un avis sur tout, quand on n’en a sur quasiment rien.»