Critique de Je suis le dernier juif par RalphMachmot
indispensable, bouleversant, littéralement impossible à critiquer. vous devez le lire.
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le 11 nov. 2010
On parle beaucoup d'Auschwitz dans la solution finale, or Birkenau était un cas à part, car il était attenant à un important centre de détenus, Auschwitz I. Belzec et Treblinka sont vraiment les modèles des centres d'extermination par excellence, ne serait-ce que parce qu'ils ont parfaitement rempli leur rôle de ne laisser aucune trace : ces centres ont été fermés bien avant Auschwitz, non pas par peur de l'avancée de l'armée rouge, mais parce qu'ils avaient rempli leur rôle : rendre la Pologne autour d'eux judenrein. Si vous allez les visiter aujourd'hui, vous verrez juste un espace vide au milieu de la forêt. Pourtant, selon les estimations, on considère que Treblinka a fait peut-être autant de morts que Birkenau. Simplement ce n'était que des Juifs polonais, contrairement à Auschwitz, qui est resté en activité jusqu'au bout car il recevait des convois de tout l'Europe.
Il est donc particulièrement intéressant d'avoir le témoignage d'un Sonderkommando ayant survécu à ce camp, surtout que ce témoignage a été écrit peu de temps après, en yiddish. Et c'est absolument terrible. On commence par l'arrivée en train, puis l'assignation à des tâches de plus en plus liées à la destruction des convois de parfois 10 000 Juifs qui arrivent chaque jour. Chil Rajman est d'abord chargé de déverser du sable sur les corps que l'on enterre dans les fosses communes creusées à la pelleteuse. Puis il devient "coiffeur" : il tond les cheveux des femmes avant qu'elles n'aillent à la chambre à gaz.
ça, c'est lorsqu'il est dans le camp n° 1, mais il y a une deuxième partie à Treblinka, qui se charge du traitement des cadavres. Les communications entre les deux parties sont réduites au maximum. Et Rajman devient "dentiste" : il doit arracher les dents des cadavres avant qu'ils ne soient enterrés. Le cas échéant, il donne un coup de main au déchargement des cadavres.
Puis vient la découverte par les Allemands d'un charnier à Katyn causé par les Soviétiques, et le camp change de politique : les cadavres ne doivent plus être enterrés, mais brûlés. Diverses solutions sont envisagées, toujours plus efficaces, pour arriver à un système de grill utilisant des murets et des rails de chemin de fer. Enfin, les convois se raréfiant, les Sonderkommandos comprennent que ce sera bientôt leur tour. Camp 1 et Camp 2 se mettent d'accord et organisent une révolte le 2 août 1943. Rajman en rapporte les souvenirs, assez imprécis. Il parvient à s'échapper, à rejoindre Varsovie, trouver de faux papiers et il survit à la guerre.
C'est un témoignage de première main, qui laisse deviner l'organisation du camp, à commencer par le Schlauch, ce boyau par lequel passent les Juifs promis à la chambre à gaz, boyau qui fait un coude pour que les détenus voient le bâtiment le plus tard possible. La volonté de dissimulation pour faire croire à une opération de désinfection semble moins élaborée qu'à Birkenau, même si le Schlauch est recouvert de sable pour cacher les traces de sang, et les murs des chambres à gaz sont refaits à la chaux régulièrement pour cacher les sécrétions et traces de violence.
On notera un véritable catalogue des cruautés psychopathiques dont font preuve les "assassins" (surnom donné aux SS), mais aussi les soldats ukrainiens réquisitionnés, et l'idée d'un quotidien fait de coups réguliers. Les conditions d'hébergement semblent encore plus précaires qu'à Auschwitz, les prisonniers dormant à même un sol de planche, avec l'idée que s'ils meurent, on peut facilement en trouver un autre.
Peu de noms sont vraiment mentionnés, on sent ici la mémoire traumatique qui oblige le cerveau à évacuer certains souvenirs. D'ailleurs le livre se clôt sur la mauvaise conscience de survivant mais le devoir de témoigner que ressent Rajchman.
Un livre impossible à noter, bien sûr. A noter que le titre choisi par l'éditeur me semble inutilement dramatique et commercial, mais question de sensibilité j'imagine.
Bref, un petit livre (120 pages), peut-être moins structuré que ne l'ait celui de Filip Müller, qui a pris le temps de la réflexion pour être au maximum pédagogique, mais un livre terrible, vraiment terrible, à faire lire à tous deux qui ne considèrent pas qu'il y ait un caractère foncièrement à part de la Shoah.
Créée
le 3 mai 2023
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