Degas et Grünewald dans le même titre, ça a de quoi intriguer – en même temps, le but de l’ouvrage est de montrer comment Huysmans critique d’art a pu passer de l’un à l’autre sans pour autant se renier. Ce catalogue d’exposition tente une autre alliance : mêler l’exigence critique des apports universitaires et la mise en valeur d’un écrivain redevenu à la mode – exposition, publication en Pléiade, réédition du Cahier de l’Herne… Enfin, à la mode, n’exagérons rien : Huysmans compte toujours cinq fois moins d’amateurs que PNL sur SensCritique.
Comme on était en droit de s’y attendre, les illustrations sont de qualité, abondantes tout en complétant judicieusement le texte. Et si ce sont principalement des contemporains de Huysmans qui sont illustrés (Moreau, Redon, Rops…), le lecteur amateur de Grünewald – et à ce titre orphelin d’ouvrages disponibles… – appréciera particulièrement la reconstitution d’une partie du retable d’Issenheim aux pages (dépliantes) 138-139. Cela correspond à l’une des ambitions du livre : « reconstituer son musée [de Huysmans], à la fois réel et imaginaire » (p. 16).
Quant aux textes, De Degas à Grünewald se présente sous la forme d’une demi-douzaine de chapitres, dans lesquels divers spécialistes passent en revue différents aspects de la critique d’art telle que celui qui fut « plus à l’aise dans les réactions passionnées que dans la théorie » (p. 116) l’a pratiquée : approche diachronique de son évolution esthétique et spirituelle, analyses du regard porté par Huysmans sur les contemporains qu’il défend – notamment au regard de l’ « art officiel » –, mise en perspective des liens entre les activités de Huysmans – critique, romancier, poète, nouvelliste, voire journaliste…
Ces liens, d’ailleurs, sont serrés : « le présent catalogue entend rappeler que l’écrivain naturaliste, le chantre ironique de la décadence et le converti tardif, ardent avocat des Primitifs et du spirituel dans l’art, sont inséparables… » (p. 126). Ils sont en effet au centre de son « “écriture artiste”, […] qui reflète sa capacité à cerner le plus petit détail au sein d’un ensemble fouillé, à nuancer précisément le moindre ton intermédiaire, bref à composer, comme le ferait un peintre, des paysages, des scènes de genre, des nus, des portraits ou des natures mortes. » (p. 170).


Une partie de ces textes n’est pas indispensable, comme cet entretien qui ouvre l’ouvrage et dans laquelle un certain Francesco Vezzoli évoque moins Huysmans qu’il ne tire la couverture à lui, ou ce passage qui mêle au verbiage technocratique actuel le verbiage d’une certaine critique littéraire des années 1960 : « L’accumulation de plusieurs items ne peut être que bénéfique tandis que leur agencement en un ordre précis comme leur immuabilité viennent renforcer leurs propriétés consolantes » (p. 177).
Mais dans l’ensemble, le livre est convaincant. Tantôt le propos consiste à évoquer ponctuellement ce qui lie l’auteur d’À rebours – mais aussi du Drageoir aux épices et de la Cathédrale – aux artistes de son temps : « Comme Baudelaire avait choisi Guys, Huysmans choisit Degas parce que le peintre de la “carnation civilisée” correspond à l’idée qu’il se fait de “l’art moderne” » (p. 95). Il ne s’agit pas tant d’énumérer ou d’étiqueter, que de faire ressurgir les idées qui dirigent l’esthétique de Huysmans : « La position de Zola face à Moreau n’est donc pas si éloignée de celle de Huysmans : ils comprennent tous deux que Moreau est à part dans le siècle, ce qui irrite Zola et plaît à Huysmans » (p. 120).
Tantôt le propos est plus général, comme dans cette longue citation, qui clora cette critique, concernant « l’image qu’on se fait de la critique d’art en France, image dominée par la figure d’auteurs qu’ont rendus célèbres leurs œuvres strictement littéraires, poèmes ou romans, tels Diderot, Stendhal, Théophile Gautier, Baudelaire, les Goncourt ou Zola, sans que l’on s’interroge jamais sur l’importance qu’ils ont pu avoir dans la vie artistique de leur temps. En outre, au lieu de les juger sur les qualités proprement littéraires de leurs critiques, on mesure d’ordinaire leur mérite à l’adéquation entre les jugements et ceux que nous portons aujourd’hui sans considérer les raisons qui ont conditionné leurs préférences, ni le caractère relatif de la vision qui s’est longtemps imposée de l’art du XIXe siècle, vision réductrice, partielle et partiale, et qui ne cesse de se modifier depuis quelques décennies » (p. 143).

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le 22 janv. 2020

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