Si Bret Easton Ellis se caractérise par une vacuité sur le fond comme sur la forme assez formidablement désagréable, son alter ego écrivain Jay McInerney réussit en revanche à accomplir une véritable prouesse littéraire en introduisant un peu de profondeur dans ce qui peut sembler être une auto-fiction superficielle. Non seulement il faut admettre que Bright Lights, Big City est indéniablement une claque littéraire, mais plus que cela, il y a une véritable volupté à lire cette prose limpide et simple qui ne se morfond pas dans une complaisance à la souffrance ridicule et snobinarde. Le récit à la deuxième personne du singulier de cet homme malheureux, désespéré, condamné aux plaisirs artificiels de la cocaïne et de la fête, abandonné par la femme qu'il aimait et marqué par des fêlures intimes est fascinant par sa puissance romanesque. A part ses déambulations nocturnes, ses états d'ébriété, ses malheurs professionnels, ses promenades urbaines sans but, ses coups d'un soir infructueux, rien n'est vraiment dit avant les dernières pages du roman qui permettent de comprendre les véritables raisons du malheur de cet homme, symbole de l'homme moderne.
Parce que l'homme moderne est comme cet oiseau de nuit aux failles intérieures et qui se plonge dans les paradis artificielles pour s'oublier. Lui non plus ne se lève pas dans le métro pour défendre les femmes attaquées, lui non plus ne réagit pas quand il est humilié par son patron, lui non plus ne parvient absolument pas à se venger des affronts qui lui sont faits, lui non plus n'est à la hauteur de rien et n'arrive même pas à faire regretter l'être aimé de l'avoir quitté. Il erre comme un vagabond nomade dans les rues d'une ville pleine de bars et dans des métros dans lesquels il lit les nouvelles de ce monde sans vraiment les retenir et même sans en ressentir les tenants dramatiques. Chaque seconde de sa misérable vie, il se rappelle qu'il souffre. Il se rappelle tout ce qu'il aurait pu être s'il s'en était donné les moyens, mais en avait-il les moyens ? Il en est persuadé de sa propre valeur, mais est pris d'une paresse parasite et consommatrice. Il oublie donc en s'hypnotisant par des addictions qui lui permettent chaque soir de croire qu'il accomplit sa vie dans quelque chose d'autre, qui en vaille la peine et qui masque un peu l'échec de sa vie sentimentale, professionnelle et tout simplement humaine. Mais la résilience n'est jamais impossible, c'est là tout l'espoir de ce livre : l'Homme moderne peut se souvenir, et renaître. Il peut renifler l'odeur matinale du pain frais et se rendre compte qu'il a beaucoup de chose à réapprendre. Il peut être heureux.