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Impressions-lecture
23 janvier 2015
Ai commencé à lire Journal de la création par Nancy Huston hier soir. En quelques pages, j’avais déjà relevé un grand nombre d’extraits qui m’ont interpellés sur un questionnement qui me tient à cœur, et tout particulièrement en ce moment (comme quoi, un livre ne nous tombe jamais dans les mains par hasard) sur les rapports entre l’écriture, la féminité, la maternité et la relation de couple.
Tout d’abord, Huston relève que le temps est inscrit dans le corps d’une femme comme il ne l’est pas chez un homme (p.16) et ceci m’a interpellée notamment par rapport à ma propre conception du temps, ma forte perception de l’avancement du temps par rapport à la conception, plus cyclique de … . Moi, je ressens constamment cet empressement du temps. Je vois le corps qui vieillit et doit se dépêcher s’il veut enfanter d’un être matériel (au contraire d’être immatériel/scriptural). Je vois tous mes projets d’écriture qui n’avancent jamais assez vite parce qu’il faudrait que je puisse y consacrer la plupart de mon temps. Je vois aussi l’utilisation efficace de mon temps actuel que je dois avoir avant de ne plus avoir autant de temps pour écrire, avec la vie, les autres, la construction d’une famille qui interfère joyeusement. C’est une question qui me taraude beaucoup en ce moment et dont je n’ai pas forcément conscience avant qu’elle ne soit révélée par l’écriture ici ou lors d’une discussion.
Huston demande aussi: quelle place laisse un écrivain à son partenaire dans la vie? (p. 17-18) C’est aussi ce que j’ai commencé à questionner avec Wish et que je questionne encore, non pas questionne mais prends conscience. Je mets … dans mon lit, dans ma quotidienneté, refusant d’écrire sur lui parce que je veux (égoïstement peut-être, parce qu’il voudrait peut-être faire parti de cet imaginaire également) qu’il reste pleinement dans la vie humaine. Mais, pour autant, je mets un dictaphone (terme qu’emploie Huston) entre nous, dans notre quotidienneté, dans notre appartement car, pour écrire quelque chose, je dois le connaître et l’avoir appréhender dans la vie (c’est ainsi que j’écris). Ainsi, lorsque je parle de couples, il y a forcément des détails du nôtre puisque c’est ce que je connais le mieux, c’est ce que je suis à même d’analyser, s’alliant à d’autres fragments observés chez d’autres couples. Mais le noyau, c’est le nôtre. Quoique j’en dise, même si je veux protéger … du monstre textuel, mon écrivain s’en imprègne tout de même, tout en demeurant à distance. Les écrivains ne respectent pas l’intimité du couple (p. 18), ils le mettent forcément en scène, en représentation, et il faut que l’autre soit lui-même écrivain ou suffisamment compréhensif, intelligent et tolérant (ce qu’est …) pour accepter qu’une part de son intimité soit déformée dans un livre qui sera lu par des étrangers. Mais j’ai eu la chance de m’entourer de gens qui comprennent cela et auxquels j’ai explicitement dit que je prenais des bouts d’eux pour les malaxer, les déformer, les écrire. Ils n’y ont pas vu le mal, ils ont compris.
Huston pose une autre question (p. 21): un écrivain peut-il être un écrivain de telle heure à telle heure puis ensuite être un être social? Peut-il être mauvais, nocif, égoïste dans son art et altruiste dans la vie? Et encore plus lorsqu’on est une femme avec ce corps temporel, ses responsabilités, sa domesticité? (cette dernière question pour moi n’est pas recevable mais elle peut bien sûr être posée). Elle même auteur, mère et partie d’un couple, Nancy Huston semble être la preuve que oui, c’est possible. Là, encore, je reviendrai sur ma question de la discipline (et peut-être par contre plus encore lorsqu’on est femme et temporelle): il faut gérer son temps, le cloisonner: de telle heure à telle heure, je suis écrivain, de telle heure à telle heure, être social, de telle heure à telle heure, amante, femme, partie du couple, telle heure, mère. Dans nos vies actuelles tellement réglées par les heures, nous devons régler nos jours, les optimiser, qu’importe si le planning n’est pas suivi à la lettre, on peut bien déborder un peu, mais l’ensemble doit s’équilibrer pour qu’il y ait dans une semaine, un mois, une année, le temps nécessaire accordé à chaque fragment de nos vies. On peut choisir de dédier plus de temps à l’écriture et au couple et les mettre en priorité (leur donner un quotta de temps sur une année par exemple).
Tout cela peut paraître un peu trop réglé, trop planifié mais c’est personnellement le seul moyen que j’ai trouvé pour sentir que ma vie est comblée de tous ces fragments (il m’a fallu auparavant bien sûr déterminer ce que sont ces fragments essentiels) car elle crée, elle réalise, elle est utile, à moi et à d’autre, et intéressante: c’est ma façon d’être au monde. Je crée dans l’isolement (écriture), je partage et crée également dans l’altérité (couple, famille choisie, amis choisis): tout est là, tout se répond également en résonance, tout est lié. Je ne peux écrire sans m’être confrontée au monde et aux autres (qui me fournissent de la matière humaine à écrire), je partage ensuite cette écriture et ce qu’elle m’a permit de découvrir (ça peut les aider, ça peut donner de belles discussions, ça peut nouer des liens, ça peut me permettre de construire un couple à mon image et à celle de celui qui m’accompagne, que je n’ai pas choisis par hasard, avec qui je partage de nombreuses résonances et aussi des dissonances qui nous soudent et que nous avons pu analyser et comprendre parce que je les ai écrit et que nous en avons ensuite parler, et que ça nous a permit de réfléchir ensemble et de nous comprendre dans ces fonctionnement personnels et de couple… etc). Tout est lié, tout se construit en échos, tous ces fragments de ma vie dansent ensemble et je suis dans cette danse, non plus spectatrice sur ma chaise adossée au mur. L’écriture et la vie, la vie et l’écriture: tout est créateur.
Un livre qui vous fait écrit de cette façon-là, qui fait surgir de telles réflexions, au bout de seulement une vingtaine de pages, que vous faut-il de plus pour vous donner envie de le lire?