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Bien que le jeu de Philip Seymour Hoffman soit assez exaspérant (mais je pense que Truman Capote était lui-même quelqu’un d’assez exaspérant en société, surjouant un rôle pour attirer l’attention), le film tient la route sans laisser un goût d’exceptionnel.
Si je le relève tout de même ici cette référence, c’est pour la représentation qu’il donne des relations d’un écrivain avec la vie.
Truman Capote fût l’un des premiers auteurs à écrire un roman de non-fiction, un roman de fait divers, et il fût très appliqué à vouloir s’assurer la véridicité de ce qu’il expose dans De sang froid, tant par rapport au fait divers lui-même (le meurtre) que par rapport aux meurtriers qu’il a voulu présentés comme des êtres humains, avec leurs pensées, leurs histoires, sans jugement par rapport à leur acte ultime.
Le film montre bien la minutie de l’enquête qu’a mené Truman Capote pendant cinq ans et les liens qui ont pu se tisser entre lui et les meurtriers, notamment Perry Smith pour lequel il finira par avoir une certaine compassion. Mais ce que révèle également le film de la contradiction intrinsèque d’un écrivain, c’est cette nécessité d’équidistance entre la vie et l’œuvre, ce constant va-et-vient entre la morale humaine et commune, et le monde de l’écriture qui est hors de l’humain, peut-être pas au-delà mais l’écrivain doit bien s’affranchir de tous scrupules pour pouvoir écrire en toute sincérité et vraisemblance.
Car même si le film nous montre que Capote a noué des liens intimes avec le meurtrier, le réalisateur nous montre également que tisser ce lien pour l’auteur, c’était aussi être au plus proche de sa matière scripturale et donc imprégner l’essence de cet homme condamné à mort. L’écrivain doit pouvoir s’extraire de toute forme de scrupules (en tout cas le temps de l’écriture): s’il veut être au plus proche de sa matière scripturale, il doit en connaître les moindres détails, les moindres cassures et les parts les plus intimes.
A la fin du film, le meurtrier s’offusque de ce que Truman Capote s’est rapproché de lui pour utiliser son histoire et sa vie afin d’écrire son livre ; Truman Capote scille à peine puisque c’est vrai : son monstre textuel, avide et imperturbable, a voulu engranger le plus d’informations possible pour constituer sa glaise, permettre de sculpter son personnage et d’écrire son roman; et il n’a pas à se sentir coupable pour ça car c’est aussi ça écrire: c’est trahir tout ce qui est intime et personnel pour le transposer en mots, des mots qui finalement ne sont plus ancrés dans la personne réelle que l’auteur a fouillé mais qui décrivent une entité, un personnage, une matière universelle. Cependant, pour écrire, l’auteur a besoin de la matière première et il doit la prendre s’il veut écrire un livre.
Après l’écriture de son roman, Truman Capote tomba dans la dépression, comme il arrive à beaucoup d’auteurs et pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles la culpabilité d’avoir utiliser cette matière mais aussi l’attachement qu’on a eu pour cette matière et qui nous a été volée, sacrifiée au nom de l’écriture. Bien sûr, Truman s’était attaché à son sujet – quel être humain pourrait résister à l’empathie ressentie pour une personne dont il apprend à connaître la vie? – mais il avait dû bloquer cet attachement pour pouvoir écrire son livre. Une fois le roman terminé, il peut laisser exprimer sa peine et assister à l’exécution du meurtrier dont il a écrit l’histoire. Mais il lui a pourtant offert le plus beau cadeau qui soit: il lui a donné une vie scripturale, il l’a rendu immortel.
En dehors de cette réflexion sur l’écrivain et la vie, le film est assez plat et passe partout, le sujet aurait pu être plus fouillé mais mérite tout de même qu’on passe une heure et demie de visionnage sans ennui.