Incontournable Juillet 2024
ENFIN!! J'ai enfin une autrice qui nous offre un guide sur les relations amoureuses, si j'étais croyante, je louerais une divinité, mais je me contenterai de remercier chaleureusement madame du Pontavice pour avoir mis entre nos mains de libraires un livre pertinent à offrir à nos jeunes pré-ados.
Ce petit livre arrive à point nommé je dois dire, car ceux et celles qui sont familiers de ma plume connaissent mon dégout et mon inquiétude pour la glorification et la banalisation des relations toxiques dans les romans jeunesse et adulte. C'est déconcertant d'avoir autant de cas absolument outrageants de relations à ne pas prendre en exemple pour un si petit nombre, au contraire, qui sont de bons modèles. Sur une question aussi essentielle que celle des relations, il me semble que c'est un constat navrant, surtout en jeunesse. Heureusement, ici, pas la peine de sortir votre radar à bad boys, il n'y en a pas et mes aïeux merci, pas de violences relationnelles à déplorer. Bien au contraire.
Dans ce tome 2, nous suivons toujours Nour, 10 ans, qui entre en 6e ( celle des français, je présume, parce que notre 6e québécoise est à 11 ans). Nour a un petit groupe d'amies filles cette fois dispersées dans d'autres écoles. Elle s'inquiète de cette distance et depuis quelques temps, elle a de curieuses sensations dans son corps en présence de son meilleur ami Zéphir. Elle décide de contacter Laura, son ancienne gardienne, qui fait des émissions de radio au sujet de l'amour et de la sexualité. Nour a bien des questions et si l'avis de Laura se révèle éclairant, ça ne fait pas de tort d'en jaser entre filles non plus.
À la fois un roman très court sur les questions entourant les premiers émois amoureux et sexuels, c'est aussi un livre sur l'importance de la sororité. Pourquoi est-ce lié? On peut d'abord pensé à cette vilaine construction sociale de l'amoureuse transie totalement dévouée à son copain, comme le bon vieux stéréotype de la parfaite épouse d'homme blanc le propose. Ainsi, une fois "amoureuse", il est donc naturel de devenir rivales entre filles, afin de mettre la main sur les meilleurs prospects. Brrr! Affligeant. Mais c'était effectivement souvent le cas dans la fiction, si je me réfère à mes premiers romans, aux films et même à nos jeux d,enfants. La fille amoureuse est jalouse et sa vie tourne autour de son gars ( l'inverse est le parfait opposé, le gars a droit à ses amis de gars et à son indépendance, lui). Il est même assez connu que les filles 'ont des relations plus compliqués que les gars" ( faux, c'est encore une vilaine construction sociale). C,est de ces vieux clichés désuets et erronés que vient l'importance de parler de la sororité, de la solidarité entre fille, de l'amitié féminine. La sphère conjugale n'est PAS plus importante que la sphère amicale, elle est complémentaire, comme le sont les sphères familiales et de travail ( collègues et camarades de classe). Par conséquent, une relation saine ne devrait pas se traduire par un total rejet de ses amies pour un gars, la sphère amicale apportant des éléments essentiels au bien-être d'un individu ( si elle est saine bien sur). C'est vraiment bien de voir Nour se préoccuper de cet aspect de sa vie: Peut-elle vivre à la fois sa relation privilégiée avec son groupe de filles tout en ayant un copain? Ben oui, pourquoi pas?
Le sentiment amoureux et l'état de désir est un autre sujet majeur. Je suis toujours très agacée par les romans ado avec des romances parce que 75% d'entre elles sont des relations vides de type "coup de foudre", donc des histoires avec des "tensions sexuelles intenses", "une beauté irréelle" et des "regards profonds", mais qui d'un point de vue "amour" est au degré zéro. Avoir envie d'avoir des relations sexuelles avec "le beau ténébreux attirant et mystérieux", c'est juste du désir. Sans le sentiment complexe qu'est l'amour, on ne parle pas de romance, on parle de "coup de foudre". Vous savez, les papillons, la panne de dodo, la perte d'appétit, le cafouillage langagier et tout le bazar physiologique? C'est du désir et le désir N'EST PAS SYNONYME D'AMOUR. le désir peut faire parti du sentiment amoureux, certes, mais sans complicité, confiance, respect, communication, équité, parité, projets communs et plaisir partagé, bref, sans le sentiment, on est pas dans un amour réel, on est dans un désir sexuel. Enfin une autrice qui fait la distinction! Et en passant, oui, des tas de gens ont des désirs forts sans tomber amoureux et des gens tombent amoureux sans désir ( les asexuel.les notamment).
Attention, le reste contient des divulgâches assez complets.
Dans le roman, Zéphir fini par apprendre la bouche de Nour qu'elle a de l'intérêt pour lui, mais ce dernier verbalise qu'il ne se sent pas "prêt". Ça fait plaisir d'entendre un personnage masculin dire ces mots, parce que j'entends encore des trucs du genre "Un gars, c'est toujours près et c'est naturellement plus sexuel qu'une fille". Arf, masculinité toxique à la con. C'est faux, tous les garçons ne sont pas hypersexuels et non, ils ne sont pas tous "prêts" en même temps. Un autre vilain stéréotype sexiste. Les garçons comme les filles passent pas divers étapes de développement et tous les genres vivent leur sexualité de manière personnalisée, chacun.e a son rythme et son degré de confort.
J'ai un gros coup de coeur pour la petit rubrique de la fin avec des questions-réponses.
La première concerne le changement d'humeur lié au débalancement hormonal, cet "ascenseur émotionnel" qui peut sembler pénible, mais qui est normal. Un peu de bienveillance de la part des autres et envers soi, on se donne le droit de "vivre" ses émotions et on temporalise: Ce n'est que temporaire.
La seconde: La normalisation du désir, qui ne se commande pas, en revanche, il n'arrive pas chez tout le monde au même moment et il "faut une certaine maturité pour le comprendre"
J'aime beaucoup la troisième, je vous la met au complet:
"Est-ce qu'on peut tomber amoureux d'une personne du même sexe?
Tomber amoureux n'a pas le même sens pour tout le monde, chaque personne vit ce sentiment à sa manière. Certain.e.s tombent amoureux.se tout le temps, d'autres ont besoin de se sentir en confiance. On peut tomber amoureux d'une personne du même sexe, bien sur, on peut être amoureux de personnes des deux sexes aussi. Et cela peut même changer au cours d'une vie, en fonction des personnes que nous rencontrons et pour lesquelles nous ressentons une attirance quel que soit leur sexe."
Merci, merci, "chacun à sa manière", "peut changer au cours d'une vie", enfin! Fini les "tu es amoureuse puisque tu as des papillons dans le ventre", ou le "forcément, tu es amoureuse de lui vu que c,est un gars" ou encore "une orientation sexuelle", là on parle de dynamisme sexuel, là on est dans la modernité. Parce qu'au fond, qu'est-ce que ça change ce qui se passe entre deux personnes ( ou plus?) ? Pourquoi a-t-on encore autant de mal avec la diversité sexuelle? A-t-on été sous l'emprise religieuse si longtemps qu'on en a oublié que l'amour c'est une des plus belles choses qui soit? Et pas juste pour nos amoureux.se, pour nos ami.e.s aussi. Chacun a sa sexualité, et du moment que la relation est consensuelle et éclairée ( légale), ça ne devrait en principe poser aucun problème aux autres.
La quatrième aborde le vieux cliché de "L'amour entre gars et fille, ça n'existe pas", réponse simple: C'est faux.
Ensuite, la cinquième, on parle de la jalousie. Perso, je trouve encore beaucoup de romans qui oriente la jalousie comme "une preuve d'amour" et je ne suis vraiment pas d'accord. La jalousie est une émotion et si elle peut arriver, par crainte d'être abandonné ou de ne plus être aimé, ce n'est pas tant une preuve d'affection qu'un manifestation d'insécurité. "Le problème, c'est quand il prend toute la place, que toute rencontre, tout geste, tout sourire ou échange avec une autre personne devient une torture. Nous devenons agressif.ve.s. possessif.ve.s...donc invivables! Une relation saine où la confiance est partagée, est la meilleure façon d'éviter ce piège qui nous fait souffrir." Voilà. Tout est dit. Tous ces bad boys possessifs et jaloux à l'excès que je croise sur les 4e de couverture des livres ados ne sont pas des amoureux, mais sont des insécures qui entravent la vie de leur conjointe pour répondre à leurs besoins. Et ça peut devenir une emprise sur l'autre, surtout dans les sphères sociales. La jalousie peut devenir un poison, quand elle prend la place de l'amour.
La sixième parle d'un sujet qui m'interpelle: Les relations toxiques, c'est quoi? Bon sang, par où commencer? Il y a des centaines de romans avec des relations abusives et toxique banalisées et romantisée qui sortent par année, les exemples pleuvent. Voici ce qu'en dit l'autrice:
"Une relation toxique est une relation déséquilibrée. C'est quand l'autre nous utilise en nous faisons croire que c'est mieux pour nous, en prétextant qu'il est amoureux et qu'il sait mieux que nous ce qu'il nous faut. Il va vouloir tout contrôler dans notre vie, nous imposer des choses que nous n'avons pas forcément envie de faire, notamment en ce qui concerne la sexualité. Il va essayer de nous isoler de nos amis, de notre famille. Et pour bien assurer son emprise sur nous, il va passer beaucoup de temps à nous rabaisser en critiquant tout: ce que nous portons, nos idées, nos choix, nos relations. Vivre une relation toxique est très malsain et peut conduire à des dépressions, voire à des tentatives de suicide. On peut vraiment dire que c'est très embêtant, et ça l'est d'autant plus qu'il n'est pas toujours évident de s'en rendre compte. L'autre est très habile et maquille sa maltraitance en nous faisant toujours croire que c'est pour notre bien. Attention, on peut aussi vivre une relation toxique avec un ami, un collègue" Et j'ajouterai: Ça vaut aussi pour les filles: les relations toxiques n'ont pas d'âge, pas de genre et pas de couleur.
Encore une courte, mais très précise description. Je réitère que moult romans sont exactement ça, des relations toxiques, mais ce qui est choquant, c'est qu'on nous les vend comme des romances. Ce n'est pas de l'amour. Je souhaite que les éditeurs et autrices soient plus consciencieux à cet égard, spécialement en regard de leur lectorat adolescent ( 12-17 ans) et intermédiaire ( 8-12 ans). Oui, j'ai des cas de relations malsaines banalisées en intermédiaire.
Finalement, en septième, une rubrique sur la notion de consentement. Cruciale, primordial, incontournable. "Subir des choses sans être consentant, c'est subir de la violence", précise l'autrice. "Ne rien dire, ça ne veut jamais dire OUI".
Merci, merci, merci, madame de Pontavice, sérieusement, j'attendais ce livre depuis des années. j'ai bien hâte d'en jaser avec mes profs pour les cours sur la sexualité au primaire 3e cycle ( 10-12 ans).
Un roman très court, des avis très clairs, les termes adéquats et précis, un tour d'horizon pertinent et une distinction limpide concernant les relations toxiques, avec un accent net sur la notion de consentement, ce roman a tout pour lui et mérite largement l'attention des acteurs du livre, des parents, des jeunes lecteurs et du personnel scolaire. Mon nouveau petit chouchou pour parler de relations interpersonnelles saines ...ah, mais je n'en avais pas. Vaut mieux tard que jamais!
"Ce livre s'appuie sur l'expérience de Ghada Hatem-Gantzer, gynécologue fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis. En partenariat avec l'Éducation nationale, elle réalise régulièrement, dans les classes de collèges et de lycées, des interventions sur la vie affective, relationnelle et sexuelle".
Pour un lectorat intermédiaire du 3e cycle primaire, 10-12 ans+