C'est peut-être un lieu commun, mais peut-être que Stephen King vieillit, sûr en tout cas que plus le temps passe, plus il se retourne et nous invite à regarder dans son rétroviseur personnel. Non pas qu'il s'arrête sur sa vie passée, c'est plutôt qu'il veut nous montrer ce qu'il regrette ce qui, pour lui, avait l'air mieux avant. Il a toujours été un peu comme ça King, même si c'était moins évident mais, derrière ses livres les plus éprouvants, les sentiments, les émotions n'étaient jamais très loin.
Joyland est de cette veine, de ces livres qui déçoivent ceux des fans qui n'ont jamais vraiment compris où King voulait en venir, ceux qui n'ont jamais vu son oeuvre comme ce qu'elle est: une parabole de la condition humaine. J'aime les deux: celui qui me faisait peur, mais encore plus (je l'avoue) celui qui m'a fait pleurer avec Cœurs Perdus En Atlantide, loin de tout pathos et avec une intelligence émotionnelle machiavélique. Si on savait que ses personnages ne sortaient pas (ou si peu) vivants de leur histoire, on sait aujourd'hui qu'ils en sortent aussi le cœur brisé...et le nôtre avec.
C'est ce qui marche si bien, des histoires pleines de sentiments, de nostalgie, de mélancolie parfois avec, au bout du compte, des fins souvent malheureuses. Du coup, la quatrième de couverture de Joyland ressemble à une publicité mensongère, elle nous vend une peur si peu présente dans le roman. En lieu et place, on trouve un regard bienveillant et si affectueux sur ces années d'étudiants fauchés, enchaînant les jobs d'été pour profiter de soirées entre potes, tombant parfois amoureux de femmes si peu accessibles bref, de ces histoires que nous avons tous plus ou moins vécues et qui forgent dans la douleur des caractères tellement humains.
Sans oublier que King s'amuse avec le langage forain, écrivant avec la fluidité qui le caractérise (non, ça ne veut pas dire qu'il écrit comme Musso) et semblant capable de captiver avec trois bouts de ficelle et un chewing-gum. Joyland n'est pas son chef-d'oeuvre, mais il confirme ce que je ressens depuis quelques années, j'attends aujourd'hui de lui qu'il me fasse pleurer, qu'il fasse passer ses héros à côté de leur bonheur parce-que c'est finalement dans l'adversité que la force des sentiments humains se révèle. J'ai aujourd'hui un rapport charnel avec l'œuvre de King, un besoin absolu de le lire, la sensation de m'enrichir à sa lecture. Ses livres m'apportent en plus de lui rapporter, lui qui fut dans la dèche.