Hasard du calendrier (ou subtil acte manqué inconscient?...), je finissais cet ouvrage sur le père fondateur de la Turquie, au moment même (à quelques heures près) où Herr Doğan venait d'être réélu au second tour de la présidentielle de 2023, à l'issue d'une campagne et d'un scrutin particulièrement tendu et serré (par rapport à d'habitude)...



Mais avant toute chose, je présente mes plus plates excuses pour la petite interlude 3615-MaVie qui va suivre, pour permettre d'expliquer où je me situe par rapport à tout ça ;

Mon père est en effet de double nationalité Franco-Turque et j'ai moi même résidé pendant 1 an à Istanbul au début des années 2000 (une des plus belle année de ma vie!!), soit avant le règne du "Reïs". J'ai donc un intérêt particulier pour ce pays (Istanbul c'est une ville de dingue, la plus digue que j'ai jamais vu, devant Paris, Barcelone, Rome, Athènes, Marrakech et même Souffelweyersheim (c'est dire!)), son histoire et à plus forte raison, pour le personnage de Mustafa Kemal Ataturk, sorte de De Gaulle d'Anatolie, pour lequel j'ai toujours eu une grande admiration, quasi instinctive.



C'est pourquoi, quand je suis tombé sur ce bouquin, j'ai pas hésité ; ni une ni deux, je l'ai pris et dévoré, trop content de parfaire un peu ma culture, somme toute très parcellaire, sur ce personnage et cette période.



Alors, que dire du livre en lui même?...

Et bien déjà, la première chose qui choque, c'est la quatrième de couverture. Je vous retranscris ici le passage qui m'a fait tiquer, c'est pas piqué des hannetons :

"Alexendre Jevakhoff, ancien élève d'HEC et de l'ENA, a contribué à plusieurs ouvrages collectifs sur la Turquie contemporaine. Il est notamment l'auteur des Russes blancs (2021), de La guerre civile russe (2017) et du Roman des Russes à Paris (2014)"

...

Je vous avais prévenu ; c'est 3 étoiles dans le Michelin^^

On a énervé des Turcs pour moins que ça, je vous l'assure... c'est chatouilleux sur le chapitre de son identité nationale un Turc... mais bref, je ferais comme si je n'avais rien vu.


A par ça, deuxième point qui me turlupine ; le Livre se termine par un long passage qui met plus ou moins en parallèle (pour les opposer) les personnages de Atatürk et Erdoğan, sauf que le livre est censé dater de 1989, soit bien bien avant l'intronisation de ce dernier... du coup, il doit s'agit d'un ajout récent venant d'une réédition, mais je trouve ça pour le moins étrange de mélanger ça au texte d'origine, sans vraiment qu'il y ai de séparation claire et précise entre le "neuf" et "l'ancien", entre le texte d'origine et les ajouts successifs des différentes éditions...


Enfin, un spécialiste pourra s'étonner de l'extrême pauvreté des sources indiquées dans le corps de texte (je ne parle pas de la bibliographie en fin d'ouvrage) pour justifier des nombreuses infos que communique le livre (et il y en a!).


Au delà de ça, le livre est parfois un peu chaud à suivre, car il suit un chemin quelque peu décousu, avec beaucoup de noms propres pas toujours faciles à assimiler et à distinguer...



Et pourtant, j'ai bien aimé la lecture de ce livre. Bien que pas mal passionné d'Histoire, je suis beaucoup trop novice et profane pour pouvoir, dans le détail, trier le bon grain de l'ivraie et je me vois donc contraint d'accepter globalement ce qui est relaté dans le livre comme plus ou moins argent comptant. Même si la méthodologie peut être contesté, je n'ai pas relevé d'énormités et les grandes lignes me paraissent globalement sérieuses.


Le livre n'est ni hagiographique, ni pamphlétaire, ce qui est appréciable et semble être le signe d'une relative bonne foi (ce que les gens confondent souvent avec "l'objectivité" ; personne, jamais, nulle part, n'est jamais "Objectif" en science humaine... En revanche, rien n'interdit d'être rigoureux, et de faire preuve de méthode, d'honnêteté intellectuelle et de bonne foi).


Les évènements relatés sont passionnants. Et l'on prend rapidement conscience en lisant tout cela, de la terrible ignorance dans laquelle croupis la majorité de la population Française (y compris la plupart des gens relativement éveillés à l'Histoire et y compris moi même) sur tout ce qui sort de trop de "l'Histoire scolaire" (Antiquité Gréco-Romaine, Europe Médiévale, France Moderne, les 2 guerres mondiales)...


Le livre ne se centre d'ailleurs pas tant sur le personnage de Mustapha Kemal lui même que sur tout ce qui gravite autour de lui (ses proches, ses rivaux, les intrigues "de cours", les batailles diplomatiques, les enjeux sociaux-économico-militaires du moment etc.) et c'est une approche que je trouve tout à fait captivante.


Bref un livre que je recommande, en gardant conscience de mon faible niveau d'expertise sur la question (et donc que mon avis vaut ce qu'il vaut, c'est à dire pas grand chose), à toutes celles et ceux que ce personnage, ce pays, ou simplement l'histoire en général, intéressent.




Une lecture qui, si elle m'a permis de mieux appréhender les tenants et les aboutissants de cette période bouillonnante, n'a finalement pas changé grand chose à la perception initiale que j'avais d'Atatürk : il reste à mes yeux l'exemple type de la figure du "Despote éclairé" théorisée au XVIIIème siècle par les Philosophes des Lumières et qui trouve ici sa manifestation charnelle la plus aboutie, ouvrant la voie à plusieurs autres avatars, plus ou moins despotes et plus ou moins éclairés (De Gaulle, Bourguiba, Tito, Nasser, Sankara...).

Des personnages avec leurs parts d'ombre (on ne gouverne pas sans se salir les mains de ci de là), mais qui mirent leurs vies au service de leurs Nations et de leurs Peuples, afin de laisser les lieux dans un meilleurs état à la sortie qu'à l'entrée.

Alors certes, il y aurait moult critiques parfaitement légitimes à faire à ce concept de "Despote éclairé" :


- Eclairé par rapport à quoi, à qui? C'est bien sûr éminemment subjectif. Pas certain par exemple, qu'un Musulman rigoriste trouvera l'oeuvre de laïcisation d'Atatürk aussi "éclairée" que moi...

- Ça reste une logique autoritaire et verticale, avec culte de la personnalité et tout le toutim... Pas forcément hyper alléchant de prime abords pour un esprit démocrate...

- C'est toujours un pari très risqué de miser là dessus ; un homme seul est toujours potentiellement retors, faillible et/ou corruptible. Celui qui, de loin, peut prétendre au titre, peut se révéler, une fois vue de plus prêt, fort désappointant (ce n'est pas, par exemple, l'expérience Napoléonienne qui fera dire le contraire à l'ami Beethoven...).

- Ça ne dure qu'un temps et un pays trop dépendant d'une figure tutélaire omniprésente peut avoir de lourdes difficultés à surmonter la disparition de ce dernier (y a qu'à voir ce qu'est devenu la Yougoslavie...)...



Cela étant, force est de constater, que parfois, dans certaines circonstances historiques bien spécifiques, particulièrement quand on se retrouve à tanguer dangereusement au bord du gouffre, cette solution peut se révéler payante et constituer un pis-aller au regard des périls encourus...

Et quoiqu'on en pense par ailleurs, je continuerai, à l'occasion, à lever mon verre de Rakı à la santé de Mustapha Kemal Pacha et de son oeuvre ; Şerefe l'ami!

Broutchlague
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le 9 juin 2023

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Broutchlague

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