Incontestablement, Jean Rouaud possède le talent de faire vivre ses personnages.
Ces derniers, il va les cueillir dans la mémoire de 'l’apprenti écrivant' qu’il était du temps où il suppléait P., un anar syndicaliste de la grande époque contestataire, titulaire du kiosque à journaux de la rue de Flandre dans le 19e arrondissement. Jean Rouaud à côtoyé autour de ce ‘centre du monde’ qu’était le kiosque, une palette de personnages, tous intéressants, désopilants, idéalistes ou fêlés par la vie . L’auteur nous les offre avec humour, tendresse pour les écorchures de la vie, indulgence pour les excès ou les mesquineries qui ne font pas le poids devant l’entraide, la simplicité et la richesse des rencontres qui animaient alors quotidiennement le quartier.
C’est aussi l’histoire de France qui est mise en perspective au travers de l’histoire de la Presse, de la diffusion des idées, des petits métiers d’autrefois. Jean Rouaud, avec finesse, souligne ce savoir-être qui cimentait le quartier, révélait une recherche de vivre en lien, une attente d’un quotidien qui provoque des rencontres, brasse des idées et fasse, en tout temps, preuve d’un véritable respect de l’autre.
L’idée de faire resurgir l’histoire autour du kiosque est originale et puissante. D’autant plus qu’il ne s’agit pas du kiosque ‘Montmartrois’, modèle que tout un chacun connaît pour l’avoir vu partout dans Paris sans même se rendre compte qu’il n’était qu’un leurre, faux moderne, inspiré du passé et dont les frondaisons et torsades chargées ne pouvaient que retenir prisonnier les idées d’un temps présent. Ignominie même pour un lieu où doit s’exposer et se défendre le quotidien annonciateur d’avenir! Non, le Kiosque de la rue de Flandres, c’est le modèle plexiglas à structure tubulaire, d’inspiration Beaubourg. C’est un théâtre du jour qui se veut anarchiste, crieur d’une vérité qui dérange, miroir d’une époque ouverte qui ne veut s’endormir ou disparaître…
La plume de Jean Rouaud, il l’a prouvé avec éclat, par son ‘Champs d’honneur’ Goncourt 1990, est celle d’un portraitiste. Il croque le physique de ses personnages et nous dévoile les caractères. C’est propre, net mais parfois un peu trop répétitif. C’est là que réside, selon moi, le point faible du livre... Maintenant, quoi de plus normal, peut-être, que la répétition dans un ouvrage qui vise, toujours au départ du kiosque, à nous rafraîchir la mémoire sur ce qu’était le quotidien, fil des jours de cette époque où la France et l’Homme ne vivaient pas encore le changement à la vitesse du numérique qui caractérise notre aujourd’hui? A chacun de se faire une idée.