Ah si j'étais papillon, j'irais voler près de toi.

Si j'étais une alouette,
Comme elle je foncerais dans l'azur;
Mais je ne descendrais plus sur la terre,
Ou les hommes sèment le blé,
Ou l'on sème et l'on fauche sans savoir pourquoi...
Ah, si j'étais papillon,
J'irais voler près de toi...


J'ai découvert l'existence de Panaït Israti en lisant "Lettre au Greco" de Nikos Kazantzakis, qui en dresse le portrait, alors que les deux écrivains se rencontrent en Russie et décident d'aller rencontrer Gorki. L'étincelle ne se fait pas, le flamboyant Panaït se heurte au calme tragique de Gorki mais nous avons la un aperçu du bonhomme à travers les yeux de Kazantzakis.



Nous nous sommes assis dans dans un petit bureau rempli de monde.
Gorki ne savait que le russe, la conversation s'est engagée avec
peine. Israti s'est mis à baragouiner, rempli d'émotion. Je ne me
rappelle pas ce qu'il lui disait, mais je n'oublierai jamais la flamme
de ses discours, l'intensité de sa voix, ses gestes larges et son œil
brûlant. Puis nous sommes partis, chemin faisant, il m'a dit:
-Gorki m'a paru très froid; et à toi?
-Moi il m'a paru très amer, inconsolable.
-Il devrait crier, boire, pleurer, pour être soulagé! mugit Panaït, indigné.



Panaït est un aventurier aux mille vies qui a traversé "l'Orient" et exercé moult métiers tout en lisant. Cela se ressent à la lecture, on verra plus tard. Attrapant la phtisie, il est soigné en Suisse, en convalescence il en profite pour apprendre le français en lisant des classiques, apparemment tout seul. C'est là qu'il découvre les romans de Romain Rolland (je ne connaissais pas non plus), qui lui donne envie de se mettre à l'écriture et qu'il contacte. Sans réponse (le français a déménagé entre temps), il erre dans l'Europe de la première guerre mondiale et finit par tenter de se suicider. L'histoire a une fin heureuse, il en est empêché, on retrouve une lettre sur lui et il parvient finalement à avoir une liaison épistolaire avec Rolland, qui l'aidera à publier ses textes. Et heureusement, sinon je n'aurais pas lu Kyra! Kyra Kyralina a donc été écrit entièrement en français par un autodidacte.


Fort de ses expériences, nous avons la un fabuleux conteur. Le personnage phare de l'auteur, son alter ego, Adrien, en est au début de son histoire, encore chez sa mère, il attend. Le déclic va se faire par Stavro, un vendeur itinérant, un escroc honnête, un mythomane notoire qui a mauvaise réputation, enfin surtout pour la mère d'Adrien, car Stavro est l'appel de l'aventure. C'est un homme à deux facettes: il y a le Stavro goguenard et souriant mais il y a l'autre Stavro dont Adrien surprend quelques fois le regard. Adrien part à l'aventure sur les routes avec lui. Dans une auberge, au milieu de la nuit, à la lumière des chandelles, c'est l'autre Stavro qui va lui narrer son histoire.


Une histoire digne de l'image que l'on se fait des mille et une nuit. C'est le Levant, l'absolutisme turc et ses beys à la barbe sophistiquée et aux mœurs dissolues, les épices et les courtisanes aux cheveux d'or. Stavro passe son enfance enfermée entre quatre murs, coupé du monde, à vivre à travers sa sœur et sa mère, sa vie rythmée par les venues de leurs prétendants, des artistes désœuvrés qui les courtisent entre deux chansons et trois bouteilles de raki. Paradis rapidement perdu, dans le monde du Levant le bonheur ne peut pas durer. Les personnages positifs sont rares et perdus au milieu d'un océan de méchanceté et d'égocentrisme. C'est ce que va découvrir Stravro l'adolescent, à la recherche de l'éternel Kyra, largué dans le monde sans aucune connaissance et qui va devoir apprendre ce qu'est la liberté dans le dur. Il peut compter sur une rencontre pour se sauver. L'écriture est éthérée, c'est une belle tranche de vie qui nous est offerte.



J'ai su, moi, depuis le jour ou le destin m'a envoyé Barba Yani,
vendeur de salep et âme divine, j'ai su qu'il doit se considérer comme
heureux, l'homme qui a la chance de rencontrer dans sa vie un Barba
Yani. Je n'en ai jamais rencontré qu'un seul, lui. Mais il m'a suffit
pour supporter la vie, et, souvent, la bénir, chanter ses louanges.
Car la bonté d'un seul homme est plus puissante que la méchanceté de
mille ; le mal meurt en même temps que celui qui l'a exercé; le bien
continuera à rayonner après la disparition du juste. Comme le soleil
qui disperse les nuages et ramène la joie sur la terre, Barba Yani
foudroya le mal qui rongeait mon âme et remplit mon coeur de santé. Ce
ne fut pas sans résistance de ma part; ce ne fut pas sans opposition
vexante ; mais quel est le coeur qui, tant meurtri soit-il dans la
vie, est capable de tenir tête face à l'explosive bonté?



Je reste abasourdi par la capacité de ce genre d'auteurs à faire traverser un sinistre brouillard par une éclaircie de lumière pure.

Leo_Mance
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le 4 févr. 2022

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