L'Acacia
7.6
L'Acacia

livre de Claude Simon (1989)

La marquise sortit à cinq heures.

Alors là... Chapeau. Claude Simon ? Connais pas. Prix Nobel ? Bon...


J'exagère un peu, j'ai déjà pris quelques claques littéraires qui m'ont fait prendre conscience qu'on pouvait écrire un roman en jouant avec la langue (Céline, Bukowski, Ajar...), avec l'histoire (Camus, Duras...), avec la syntaxe (Albert Cohen, Kerouac...), bref qu'on n'a pas besoin d'une "situation initiale" et d'un "élément perturbateur" pour faire un bon roman, qu'on n'a pas besoin non plus d'un "sujet, verbe, complément", d'une majuscule ou même d'un point pour faire une phrase. Mais tout de même, c'est toujours un choc quand je tombe sur ce type d'ouvrage.


Alors certes, je suis bien ignorant car après quelques recherches, je comprends vite que Claude Simon n'est pas n'importe qui et que les Editions de Minuit sont célèbres pour avoir édité du "Nouveau Roman", courant littéraire qui consiste donc (et je cite wikipédia car c'est plus simple) à "rejeter l'idée dépassée d'intrigue, de portrait psychologique et même de la nécessité des personnages". Ah. Rien que ça.


Un roman sans intrigue, sans portrait psychologique et sans personnage. J'aurais pu commencer par là. Voilà. 9/10. Pour ne pas mettre 10. Sans snobisme évidemment. Evidemment.


Pourquoi ? Car c'est un roman à l'écriture magnifique, à la construction intelligemment complexe, qui oblige le lecteur à s'impliquer dans sa lecture pour en comprendre le sens. Un petit peu comme les livres d'énigme que je lisais gamin et qui menaient de la page 10 à la page 63 pour revenir en arrière, et ainsi de suite, parfois je tournais en boucle sur la foutue page 3, et de rage je fermais le bouquin. Dommage. Mais parfois (toujours en réalité, j'étais malin), je trouvais la clé... Mais il ne fallait pas que ce soit trop facile, sinon je fermais le livre dans un haussement d'épaules et j'en ouvrais un autre. Sitôt lu, sitôt oublié.


Dans l'Acacia, c'est savamment dosé. Chaque chapitre du roman se déroule à une période différente (la date ou la période couverte est indiquée en début de chapitre, il n'y a pas d'ordre chronologique vous l'aurez compris), avec des personnages différents (là c'est au lecteur de se débrouiller), dans un lieu différent (là aussi) et tous ces chapitres, qui au début semblent indépendants (j'ai cru lire des nouvelles pendant les deux premiers chapitres je l'avoue), finissent par s'entremêler pour accoucher d'une histoire familiale extrêmement touchante. Une histoire qui est certes celle de l'auteur (encore wikipédia), mais qui est surtout celle des millions de noms gravés dans les monuments aux morts de tous les villages français.


C'est l'histoire du temps qui passe (et en ce sens le livre peut faire penser à Proust, les longues phrases alambiquées n'y sont pas pour rien), de l'histoire qui se répète, de l'absurdité du monde, du sacrifice, de l'amour, de la guerre, du deuil, de la France, de l'écriture, de la naissance de l'écrivain. Oui, de tout ça.


Bref, c'est un roman unique, dont la forme, primordiale, est indissociable du fond. C'est un roman exigeant, à ne pas forcément mettre entre toutes les mains, au risque de dégoûter des néo-lecteurs enthousiastes, mais, qui une fois refermé, m'a laissé une sensation de fraîcheur absolue, une envie frénétique d'explorer à nouveau les étagères des librairies, car maintenant j'en suis sûr : si j'ai découvert Simon aujourd'hui, qui vais-je découvrir demain ?

turo
9
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le 18 mai 2021

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