La même différence sépare la dame et la jeune fille au chapeau plat
des autres gens du poste. De même que toutes les deux regardent les
longues avenues des fleuves, de même elles sont. Isolées toutes les
deux. Seules, des reines. Leur disgrâce va de soi. Toutes deux au
discrédit vouées du fait de la nature de ce corps qu'elles ont,
caressé par des amants, baisé par leurs bouches, livrées à l'infamie
d'une jouissance à en mourir, disent-elles, à en mourir de cette mort
mystérieuse des amants sans amour. C'est de cela qu'il est question,
de cette humeur à mourir.
L'Amant, Marguerite Duras.
Marguerite Duras nous livre dans cette oeuvre son besoin de se souvenir de son initiation au désir, son initiation au plaisir. N'avons-nous pas toutes été Marguerite Duras? N'avons-nous pas toutes tremblée pour un homme? N'avons-nous pas toutes voulu nous perdre dans des bras ardemment désirés? Peut-être que non. Mais le temps de ces 142 pages, vous n'êtes plus de celles qui ne veulent pas se perdre car vous vous perdez avec l'héroïne. Vous ressentez le désir, vous ressentez le plaisir. Marguerite Duras nous écrit l'amour, elle nous écrit la sensualité et la sexualité.
Bien sûr, ce roman n'est pas un traité sur le sexe. Ce livre c'est l'éclosion de la jeune fille en jeune femme, on vit avec elle, on vit en elle. On est elle. Les déceptions, les peurs, les chagrins, les colères,... Tout cela trouve un écho en notre personne. On ressent le décalage entre ce monde de plaisir qu'elle découvre et qui la sauve du contexte familial et émotionnel complexe dans lequelle elle évolue depuis la naissance.
L'amant est ici l'homme qui réconcile la jeune femme avec l'homme. L'homme n'est plus le père disparu, il n'est plus le frère tyrannique, il n'est plus le frère-enfant aimé émasculé par l'amour qu'on lui porte. L'homme devient source de plaisir, de joie et de désir. L'homme arrive à apprivoisier la jeune femme, à la dompter.
Marguerite Duras nous écrit la découverte des plaisirs, l'éclosion de la femme, la réconciliation avec l'homme,... Elle nous écrit la Vie.