L’Amour aux temps du choléra est une œuvre incroyable. Gabriel Garcia Marquez y déploie une narration nerveuse digne des plus grands romans picaresques. En effet, lorsque Florentino Ariza tombe amoureux de Fermina Daza, il s’embarque sur une histoire passionnelle d’une cinquantaine d’années parsemée d’aléas, d’embûches mais aussi d’imprévus. Le lecteur est comme happé par ce flot d’événements plus ou moins vraisemblables, où Florentino Arizo se console d’un amour inabouti avec d’autres maîtresses de différents horizons, et a cette curiosité de savoir où l’auteur va mener son histoire fastidieuse et rocambolesque. L’intérêt du livre est que Garcia Márquez ne se contente pas du point de vue de Fiorentino Ariza mais qu’il fait accéder à ceux de Fermina Daza et de son mari le docteur Juvenal Orbino tout aussi fantasques et contrariés. L’action à cheval entre le dix-neuvième et le vingtième siècle dans les Caraïbes, fait mesurer l’importance du patriarcat dans la société sud-américaine ( où les femmes des différents milieux doivent s’aménager une vie plutôt d’accepter de vivre celle toute tracée qu’on leur destine), et curieusement relègue le choléra comme une toile de fond aussi ravageur et persistant soit il. L’importance du propos étant dans cette maladie d’amour, vectrice d’obsessions, de souffrances psychologiques mais parfois aussi de moments de partages volés à la réalité ( quand Fiorentino Ariza conjure sa volonté de ne pas vivre son amour pour Fermina Ariza en fréquentant d’autres femmes aux mœurs débridées pour l’époque). Impossible de ne pas être insensible à cette dramaturgie désaccordée, à cette histoire sans cesse alimentée de nouveaux événements et de nouveaux personnages, et où chacun d’entre eux établit comme une façon de vivre sa vie coûte que coûte plutôt que de la subir. Vous êtes fascinés par l’énergie littéraire de Garcia Marquez, la qualité de ses descriptions, sa façon bien à lui de faire vivre l’opéra, la musique ou même la poésie. L’épilogue de L’Amour aux temps du choléra est aussi complètement inattendu car la variation des personnages murs face à leurs jeunesses perdues convoque quand même cette ultime volonté d’un amour aussi ardent qu’à ses premiers jours. Vous refermez le livre autant éberlué, rassasié et retourné et vous savez que vous avez traversé un grand moment de littérature.