Souvent revient cette idée reçue, un peu désespérante, que les claques littéraires seraient réservées à l'adolescence, ce moment où l'âme et le corps se transforment et sont façonnés par les hormones, l'éducation et les expériences, bonnes ou mauvaises, qui feront de nous des adultes. Il faut bien l'avouer, une bonne partie des oeuvres que nous découvrons lors de cette période deviennent généralement cultes pour nous, jusqu'à ce que, pour certaines, cela se confirme, et pour d'autres, elles soient jetées aux oubliettes, et qu'on en ait même un peu honte. Les goûts s'affinant, le temps se chargera alors de les remplacer.
Pour ma part, j'ai dépassé il y a peu la trentaine, et "L'Amour Monstre" m'a une nouvelle fois prouvé qu'il n'y a heureusement pas d'âge pour découvrir un chef-d'oeuvre. Merci donc à Serge Gainsbourg de l'avoir cité dans sa chanson "Initials B.B". C'est tout d'abord la découverte d'un auteur, Louis Pauwels ; il m'a suffi d'une dizaine de pages pour tomber en pamoison devant son écriture fulgurante et crue, ses métaphores percutantes qui dissèquent les rapports amoureux avec une lucidité cruelle. Bref, tous les ingrédients étaient réunis pour accoucher d'un roman qui sent le soufre, et où l'on souffre, justement, par passion, par déraison, par fluctuations, où l'on se consume dans les flammes de l'amour, où la fin ne pourra être que tragique. Jusqu'au dénouement, le style de Pauwels ne perd rien de son charme ; l'auteur est impliqué, constant dans l'alternance des remous brûlants et des épisodes glacials.
Avec de tels atouts, il ne manquait plus que l'histoire tienne la route, et de ce côté-là, c'est encore gagné. Evidemment, je me garderai bien de tout spoil malencontreux. Disons que l'action se déroule dans une petite bourgade (pas vraiment de repères temporels, ce qui aura pour effet de donner encore plus de force au récit) ; on nous présente, au début, une galerie de personnages vivant chacun à leur manière des relations de couples compliquées, dont le destin va se retrouver lié, de près ou de loin, à celui d'Antoine Billet, médecin de son état, suite aux révélations sulfureuses d'une certaine Madeleine, entrée soudainement au couvent dans d'obscures circonstances. Evidemment, les curaillons arriérés du coin ne tarderont guère à donner du crédit aux ragots courant dans le village, faisant état de relations pas très catholiques entre Billet et quelques-unes de ses patientes... Des relations qui, n'ayons pas peur des mots, auraient même quelque chose de satanique.
Impossible d'en dire plus pour ne pas gâcher le plaisir de la lecture. Mais comme vous vous en doutez, "L'Amour Monstre" est un livre tout ce qu'il y a de plus sulfureux, où l'affection et l'attirance sexuelle, telles des changeformes, ont tour à tour des visages angéliques et démoniaques, où le langage de la chair dépasse en pouvoir celui des mots. Il va de soi que la religion en prend pour son grade. On y aborde également des sujets cruels (comme la jalousie, l'ignorance et leurs conséquences) ou encore tabous aujourd'hui (la perversion dans le couple avec le glauquissime avocat Vias, les femmes-fontaines). Non, je vous vois venir : ce n'est pas un roman érotique, juste l'une des plus sublimes évocations du combat sans issu entre le coeur et la raison. Est-ce le diable qui vous fait faire le mauvais choix ? Est-ce lui qui vous donne un jour de l'emprise sur quelqu'un, qui offre à certaines femmes des allures de succubes ? Au final, il semblerait que le monstre ne soit pas ce que l'on croit... Difficile, pourtant, de faire la part des choses, lorsqu'il se nomme "possession".

Psychedeclic
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le 6 avr. 2013

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