Chère Mélanie (tu permets que je t'appelle chère Mélanie ?),
Au moment de rédiger cette critique sur ton dernier livre, je suis un peu embêté. Non pas qu'il m'ait déplu, bien au contraire. Mais il est difficile d'évoquer les sentiments que ton "Année suspendue" a suscité chez moi, sans révéler des éléments trop personnels. Ce n'est ni le moment ni le lieu ; un jour, peut-être... Précisons tout de même que j'ai eu l'occasion de lire plusieurs témoignages de personnes Asperger diagnostiquées à l'âge adulte (J. Dachez, J. Schovanec, A. Reynaud, L. Holliday...), si bien qu'un de plus aurait pu ne pas m'apporter grand-chose. Et pourtant le tien m'a fait un effet particulier.
Bien que nous ne nous soyons jamais rencontrés, nous évoluons dans le même milieu et ton nom m'est familier depuis de nombreuses années, d'où peut-être une plus grande impression de proximité par rapport à d'autres témoignages du même genre. En plus de l'indéniable qualité d'écriture, la manière de mener ton récit m'a beaucoup plu. Cela pourra gêner certains lecteurs s'attendant à quelque chose de plus structuré, mais pour ma part j'ai aimé ce parti pris qui rend bien compte de tes propres hésitations et interrogations : au moment où tu entames ce projet de livre, tu n'as pas encore été diagnostiquée, le TSA (trouble du spectre autistique) n'est alors qu'une hypothèse. En outre, cette façon d'aborder les différents aspects du TSA au gré de ta réflexion, sans suivre de plan préétabli, m'a donné l'impression d'être en face de toi, à t'écouter comme on écouterait une amie ravie d'avoir trouvé une oreille attentive et bienveillante. Sache que j'ai beaucoup acquiescé au cours de ma lecture, ou levé les yeux au ciel à l'évocation de certaines difficultés qui, hélas ! ne sont que trop vraies. Et si j'ai parfois eu l'envie de t'interrompre pour te dire "Ce point-là, tu l'as oublié...", j'ai bien fait de me taire car au bout du compte tout y passe. Ce n'est pas un ouvrage théorique ou scientifique, tu te contentes (et c'est déjà beaucoup) de réexaminer tes expériences personnelles à la lumière de ce que l'on sait actuellement du syndrome d'Asperger. Cela offre une vision d'ensemble de ce que peut être la vie d'une personne porteuse de ce handicap invisible que, par définition, les autres ont du mal à appréhender : "Mais pourtant, vous n'avez pas l'air autiste"...
Il est possible que je me trompe, mais je crains un peu que ce type d'ouvrage ne soit lu que par des gens directement concernés, parce qu'un de leurs proches ou eux-mêmes sont sur le spectre ou pensent pouvoir l'être, alors que dans un monde idéal "L'année suspendue" devrait surtout être mis entre les mains de tous ceux qui n'ont aucune idée de ce qu'est l'autisme, ou plutôt des différentes formes d'autisme. Je connais des personnes qui, si elles étaient confrontées à ton témoignage, verraient pas mal de leurs certitudes remises en cause... mais malheureusement elles ne le liront jamais. Et puis ce n'est pas avec cette critique que les gens comprendront mieux ce qu'est le syndrome d'Asperger, puisque malgré ma connaissance du sujet je n'ai pas ta capacité à en parler clairement ; le mieux est encore de te lire.