On a presque peur d'oser un chronique sur l'Arbre-monde de Richard Powers, sachant qu'on n'a pu percevoir qu'une toute petite partie de la richesse qu'il contient. La force de ce roman dépasse le petit d'Homme que nous sommes, trop souvent empli de croyances sur notre capacité à dominer la nature alors que, d'un arbre, nous ne voyons qu'une toute petite partie, ne connaissant ni ses racines, ni son passé, son présent et surtout la promesse d'avenir qu'il nous offre. de là à croire qu'on est capable de maîtriser le langage et les interactions entre tous les vivants de la nature, il y a bien plus d'un pas et nous nous surestimons à nous croire capable de les franchir d'un bond banal.
Richard Powers nous propose une réflexion sur l'Arbre, plutôt les arbres, chacun dans leur unicité, participant à l'équilibre du monde. Son récit, doté de quelques très belles présentations des essences mises en scène, s'intéressent surtout à un panel de personnages, tous plus étonnants les uns que les autres, qui ont, consciemment ou non, bâti leurs vies en s'adossant à l'arbre qui les a fait grandir.
Ces humains, plutôt atypiques, finiront par croiser leurs destins, leurs engagements et ce récit ouvre au lecteur une porte sur de multiples interrogations : qui sommes-nous ? Sur quoi fondons-nous nos vies ? Quel est la place du respect dû aux vivants, arbres compris ? Notre économie de croissance et de surproduction a-t-elle seulement un sens, un avenir ? A travers cette approche des grands mythes des arbres fondateurs, ce sont nos fondements de vie qui attendent d'être validés, ou pas.
L'écriture qui nous emmène dans des cultures, des lieux et des temps différents n'est pas toujours simple à suivre. J'avoue m'y être quelques fois perdu, à tout le moins égaré. Peut-être faut-il simplement se laisser bercer par le chant des arbres plutôt que de vouloir en analyser et comprendre la moindre feuille. Ce roman, construit en quatre blocs distincts (racine, tronc, feuillage et fruits) nous fait découvrir l'importance du monde des racines qui nourrissent, du tronc qui charpente et du feuillage, aussi volumineux que celui des racines, qui finira par donner du fruit et un à venir. Que serait un corps sans son pied, son bras, son oeil ou sa main ? Il en est de même pour l'arbre. Nulle partie ne peut revendiquer être le tout, chacune complète l'autre. Et, en élargissant, que serait le monde sans l'arbre, la pierre, le vent ou l'homme ? Nulle partie ne peut revendiquer d'être le tout… Un roman qui nous invite à reprendre la place qui est la nôtre dans ce tout où rien ne nous appartient, même si, souvent, nos actes font croire le contraire. Une belle, très belle découverte.
Ce livre était sur ma pile depuis l'été dernier… l'envie de poursuivre ma participation au défi de Madame lit l'a ramené en haut de la pile. J'en suis heureux !