« A Bellevue, dans l’Etat de Washington, il décroche le job idéal : manutentionnaire amélioré, il arpente sur son mini-chariot élévateur un énorme entrepôt d’un supermarché de la culture en ligne, un Centre de Satisfaction de la commande, déballe des montagnes de livres en palettes, scanne les codes-barres, puis enregistre leur emplacement précis dans l’immense matrice de stockage en 3-D. Il est censé battre des records de vitesse au sol. Et c’est le cas. Une sorte de performance artistique pour un public confidentiel, à savoir personne.
Le produit, ici, c’est moins les livres que ce but de dix mille ans d’histoire, cette chose que le cerveau humain convoite par-dessus tout et que la nature lui refusera jusqu’à la mort : la facilité. Ce flot est un fléau, et Nick en est le vecteur. Ses employeurs sont un virus qui un jour vivra en symbiose en chacun de nous. Une fois qu’on a acheté un roman en pyjama, on ne peut plus faire marche arrière. »
Comme toujours, il est très difficile de parler d’un roman de Richard Powers car s’il s’en dégage un thème central très fort (ici, les arbres et plus généralement la nature), il y règne surtout une densité exceptionnelle. Même pas cinq cent pages mais la lecture en est si riche et exigeante qu’elles semblent le triple – au moins. Non, Richard Powers n’est pas un auteur facile mais il possède cette étincelle de génie qui le rend impossible à lâcher. Comme dans « Le Temps où nous chantions », il donne le vertige au lecteur en mettant le doigt sur des morceaux de vérité pure et étincelante qu’on a l’impression d’arracher au récit, tant celui-ci nous repousse constamment par une sorte de gangue d’ennui, telles les énumérations d’espèces d’arbres ou encore les passages un peu plus mystiques; On ne pourra pas cette fois lui reprocher sa froideur, car des personnages il nous en offre, mettant patiemment en place ses pions aux quatre coins des USA avant de nous exposer les liens les unissant. Et des personnages exaltés, qui se laissent entraîner dans un activisme flirtant avec le terrorisme, que l’on suit parfois avec difficulté, leur enchaînement s’accélérant au fil des pages. Les gens ne sont jamais convaincus par de bons arguments, nous explique un personnage à un moment, mais plus facilement par une bonne histoire. Je ne sais pas si la force de conviction déployée dans ce roman débouchera sur du concret mais je vous garantis une chose, c’est que plus jamais vous ne regardez un arbre de la même manière après ce roman ou plutôt, d’ailleurs, vous le regarderez, enfin, au lieu de simplement le voir. Personnages centraux aussi énigmatiques qu’impressionnants, les arbres ont trouvé ici la voix pour nous les raconter, pour nous donner surtout un aperçu de la situation globale. Qui est tout simplement terrifiante.