T'es woke, coco ?
L'Aube est un authentique récit d'anticipation où la description ainsi que la psychologie des personnages prennent une grande part.Le roman est plutôt bon, et même meilleur que bien d'autres. Les...
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le 28 déc. 2024
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L'Aube est un authentique récit d'anticipation où la description ainsi que la psychologie des personnages prennent une grande part.
Le roman est plutôt bon, et même meilleur que bien d'autres. Les descriptions sont claires et précises, les dialogues faciles à suivre et cohérents.
Le postulat de son scénario était déjà classique en 1987 bien que la précision des descriptions des E.T. et de leurs rapports aux Terriens en fait un récit assez original, mais hélas trop long.
Jusqu'à plus de la moitié du livre, le manque d'action en milieu clos devient lassant. Après quoi, l'action s'installe mais l'intention du récit passe de celle d'une confrontation avec des E.T. qui permet de mettre en évidence qu'on peut vivre et penser autrement, à une lutte pour la survie entre humains, comme celle qui nous a souvent été soumise par le genre, que ce soit en littérature ou au cinéma. Or, le cinéma permet de bien mieux l'exprimer en beaucoup moins de temps, donc d'en avaler le déroulement plus confortablement et plus vite. Là, j'avoue que j'ai lu en sautant des pages, c'est à dire comme je déteste traiter un livre.
Concernant le scénario, le choix des personnages humains ne tient pas, ces survivants d'une apocalypse nucléaire qui a anéanti la vie sur Terre étant tous Nord-Américains, mis à part un Australien. Qui plus est, le récit précise que Lilith, femme noire étasunienne qui est le personnage principal, n'a dû son salut qu'au fait qu'elle était en Amérique du Sud, tout comme deux autres femmes, l'une à Rio de Janeiro, l'autre en Colombie. Alors, quid des Sud-Américains qui vivaient chez eux ? Quid des habitants de l'Inde, de l'archipel indonésien, d'Indochine et... d'Afrique noire ? Les E.T. ont-ils une préférence pour les mangeurs de Hamburgers ?
Ce choix des protagonistes rattache l'oeuvre d'Octavia Butler à la "S-F" traditionnelle nord-américaine dans laquelle, la plupart du temps, l'avenir est peuplé de Nord-américains, essentiellement blancs. L'incohérence se justifierait-elle par le souhait d'O. Butler de rendre son roman "bankable" ? Elle donne hélas un ton très étasunien aux comportements des personnages humains, assez paranoïaques, individualistes, pragmatiques et névrosés. Au point qu'on s'imagine aisément dans un de ces "thrillers" cinématographiques des années 1990-2010 que, pour ma part, j'ai toujours trouvé agaçants par leur ethnicisme U.S. et leur manque d'ouverture à la diversité des modes de pensée qu'offre encore l'humanité contemporaine.
L'autre difficulté du roman vient du choix d'une apocalypse nucléaire entre USA et URSS écrite trois ans à peine avant la dissolution de l'Empire soviétique, faisant passer le genre de ce roman de l'Anticipation à l'Uchronie. Boh, pas grave, du moment que les deux autres épisodes de cette trilogie ont été écrits avant 1990 : pas de chance, mais c'est arrivé à d'autres :0) !
Riche d'interrogations sur la perception de l' "autre", L'aube parut en français seulement en 2023 au Diable Vauvert, avec une couverture d'une grande laideur et un désir assez clair de profiter de l'effet d'aubaine des mouvements qui se réclament "woke" pour obtenir vite fait un lectorat sur cette œuvre intéressante, malheureusement longtemps oubliée par l'édition française.
La préface de douze pages a été écrite par Marion Mazauric, fondatrice des éditions Diable vauvert, électrice traditionnelle du parti communiste français et active partisane avec son mari de la corrida, ce sanglant divertissement auquel elle a parfois personnellement participé. Elle décrit brièvement des étapes de la vie de l'auteure, revendiquant pour elle des idées d'avant-garde en matière de vie sexuelle, ainsi que d'identité de race et de genre.
La postface de sept pages est l’œuvre de Fania Noël, intellectuelle haïtienne et militante féministe et panafricaniste très active. Elle s'intitule de manière plutôt provocatrice "Etre woke avec Octavia Butler", et inscrit le récit de l'écrivaine dans une revendication "Woke" qui positionne l'édition du Diable vauvert dans une perspective doctrinaire pas forcément bien venue. Bien écrite, son hypothèse est cependant hautement contestable, ne serait-ce que parce que le roman a été écrit plus de 30 ans avant cette revendication très moderne. Et que son auteure, décédée en 2006, ne pourra jamais confirmer ou infirmer cet alignement idéologique supposé... Fania Noël se montre également maladroite en prétendant que "les contenus de science-fiction ont pour objectif non pas de prédire l'avenir mais de remettre en question le présent". J'estime que cette déclaration procède d'une méconnaissance grave de ce genre littéraire que je lis depuis l'enfance, et ça ne plaide pas en faveur de la capacité d'analyse générale de Mme Noël.
En conclusion, je dirais que, comme l'avance le résumé de SC, ce roman est ambitieux ; mais il n'est pas époustouflant pour autant. Il est classique et même, avec sa fin résolue par un affrontement compétitionnel violent, assez banal. Celles et ceux qui y auraient cherché une revendication "woke" en seront pour leurs frais. Je n'y vois que l'affirmation de femmes dans un processus de recomposition de l'humanité à partir quelques dizaines d'individus sommés de montrer qu'ils peuvent s'entendre pour survivre alors qu'ils n'ont pas été préparés à cette situation. Il n'y a rien ici qui puisse démontrer la supériorité féminine ou encore que les femmes peuvent inviter à une autre manière de considérer la place de l'espèce humaine dans son environnement de subsistance.
Soit j'ai tort et Octavia Butler a complètement raté son coup, soit l'auteure avait tout simplement envie de montrer qu'une femme peut, aussi bien qu'un homme, prendre des décisions qui amènent... au même résultat. Sans doute par un manque de recul parfaitement compréhensible à l'époque, O. Butler a raté une occasion de donner une attitude plus évolutionnaire à ses E.T. bienfaiteurs et, partant, une meilleure mise en valeur de son héroïne dans son rôle de guide d'une nouvelle humanité.
Je réserve cependant mon jugement final sur cette question, n'ayant pas lu (et n'ayant pas l'intention de lire) les deux tomes qui constituent la suite de cette trilogie.
Créée
le 28 déc. 2024
Modifiée
le 30 déc. 2024
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