Incontournable Décembre 2022
Comme plusieurs Lecteurs, cette lecture fait suite à la série pour les vieux ados "Les tribulations d'Esther Parmentier", qui m'avait vraiment déçue, surtout en raison de son scénario bancal et de son sempiternel triangle d'une humaine débilisée par un gros béguin, entre un vampire trop beau et un loup-garou friendzoné. Ici, l'autrice emploie des personnages plus jeunes et un sujet qui l'est aussi: L'école secondaire/Lycée pour monstres. Si je devais formuler une phrase pour ce livre, je dirais qu'à l'instar du visage du personnage de Joël, c'est un patchwork de divers éléments qui tiennent ensemble un peu par la peur, mais qu'on finit par trouver sympathique.
Siméon St-Paul entre à l'École de Minuit, qui se trouve sur Midi. École de niveau secondaire, elle accueille à la fois des ados issus du monde des monstres (Minuit) et certains issus de celui des humains (Midi), dont Siméon. Ce dernier espère enfin avoir une vie sociale, celle-ci déjà grandement amenuisée par le fait d'être un demi-vampire allergique au soleil dans un monde ensoleillé. L'ado de 15 ans n'est en outre pas du tout le type de vampire idéalisé dans les romans sur cette espèce, il faut dire. Néanmoins, Siméon n'est pas le seul étudiant trainant des soucis. Alors qu'il amorce son année avec deux prospect en amitié, le sirein Colin, un peu trop obsédé par sa personne, et la liche Joël, à l'humour douteux et aux fréquentations discutables, il semble que certains étudiants disparaissent sans trop que cela perturbe les instances professorales. La directrice a un comportement incohérent, un mystère plane sur leur camarade Prune et la louve-garou Eir semble avoir un traitement préférentiel qui contraste avec le rejet social dont elle est victime. Il y a très certainement une anguille sous la roche, peut-être même tout un tas en fait...En tout cas, quand la soeur de Siméon, Suzelle, véritable vedette de l'école, disparait également, Siméon et ses nouveaux amis mènent l'enquête.
Je pense encore une fois que l'humour de l'autrice est son point fort, à condition d'aimer son style d'humour, bien sur. Très souvent sarcastique, abondamment comparatif et souvent référentiel, le ton autodérisoire est aussi amusant. Cela dit, il faut que je mentionne que certaines références ne seront peut-être pas comprise du lectorat adolescent, parce que ce sont des références de ma génération, voir celle d'avant.
Je constate que l'autrice a peaufiné ses personnages, aussi. Dans sa série d'Esther Parmentier, j'avais entrevu des idées originales sur le plan des représentations de personnages, en dépit des gros clichés. Ici, elle le fait beaucoup mieux, avec moins de clichés et ça donne une force à son roman.
Siméon ressemble d'ailleurs à Esther Parmentier. Ils ont le même humour décapant et la même autodérision sur leur intellect moyen, leur physique ingrat ( et peu avantageux), ainsi que leur particularité unique. Alors qu'Esther est une sorte de nihiliste magique, Siméon est l'addition des tares ou des désavantages de deux espèces. Dans les deux cas également, ils s'improvisent détectives, au talent très relatif. Cela dit, avoir des "héros moyens" fait beaucoup de bien, car les Héros ont la fâcheuse manie d'être difficiles à s'y identifier, quand ils ne sont que beauté et perfection.
Mieux encore, Siméon éclipse cette espèce d'idéalisation du vampire tel que détourné par les romans-navets pseudo-romantiques en littérature adolescente des dernières années. Je reproche beaucoup à cet archétype, qui propose des personnages toxiques toujours excusés, alors qu'ils sont souvent de belles ordures - Littéralement. Dans le roman, on en parle d'ailleurs souvent du côté "faussement parfait" de ces prédateurs buveurs de sang dont on a oublié le fait qu'ils sont d'abord et avant tout des créatures prédatrices manipulatrices et égocentriques, que nulle jouissance sexuelle ne saurait compenser, du moins quand on a un minimum de cervelle. Pour en revenir à Siméon, on table sur le fait que d'être vampire comporte sa part de problèmes, à l'instar des autres espèces monstrueuses. Obligé de porter un voile de veuve pour se protéger, incapable de manger quoique ce soit autre que le sang( ce qui limite m'a toujours semblé être une terrible malédiction), physiquement plus près de l'humain et même myope, Siméon se fait en outre rappeler sans arrêt que l'hybridité peut aussi comporter sa part de réussites en la personne de sa soeur.
Suzelle est l'archétype de la figure sociale aboutie: physiquement plus près du vampire, physiquement jolie, forte et dotée de magie, imperméable au soleil, très intelligente et investie d'un talent en pratiquement tout, c'est en soi la fille qui a tout pour elle, selon les standards sociaux et canons esthétiques occidentaux. Un aspect qui doit être bien lourd pour le cadet de la famille, incapable de rivaliser avec cela. Cet élément de l'histoire aurait vraiment gagné à être plus central, mais reste de surface. Il sert surtout à marquer le statut du personnage principal, complexé et cultivant un sentiment d'infériorité. On a pas l'impression que le personnage ait évolué sur cette question, en dépit du fait qu'il comprend que sa soeur l'apprécie comme il est ( ce qui ajoute une certaine forme d'humilité au tableau des qualités de Suzelle, d'ailleurs).
Au chapitre des thèmes, de manière générale, il y avait présence de thèmes sympathiques, tels que la camaraderie, la stigmatisation, le besoin de reconnaissance, l'inter-ethnicité ( pour parler des diverses races) et le Vivre Ensemble, mais pour reprendre l'idée d'un autre Lecteur, l'action avait préséance sur les enjeux , ce qui donnait donc un manque de profondeur. Un peu comme si l'autrice avait peur de piler franchement sur ses thèmes, au risque d'ennuyer le lecteur. Mais, bon, peut-être n'est-ce pas son but non plus de rentrer dans ces enjeux.
À partir d'ici, la critique peut contenir des divulgâches.
Au volet des personnages, j'aurais aimé des explications et des descriptions sur les types de monstres. Il y en a eu beaucoup sur les vampires, les loups-garous et les liches, mais très peu sur certains autres. Comme plusieurs folklores et créatures mythologiques se croisent, cela aurait été pertinent, mais aussi important, car à certains moments, les points d'interrogations s'accumulaient au dessus de ma tête, ce qui rend l'histoire un brin floue. Je remarque que Colin n'a pas été appelé "triton", mais bien "sirein", forme masculinisé de "sirène", une mot intéressante. La plupart des personnages sont attachants et ont un bon équilibre entre vulnérabilité et forces, sans tomber dans le clivage tout-blanc-tout-noir. Les feux follets Calcifer ( très amusante référence au "Château de Hurle", je souligne) et Sköll sont particulièrement amusants, l'un pour sa grande sensibilité et l'autre pour son côté "vieux oncle indélicat". Deux choses cependant: si les feux follets invoqués doivent rester près de leur invocateur, je ne comprend pas pourquoi Saphyr, celui de Suzelle, est aussi formidablement absent? Ensuite, ç'aurait été intéressant de savoir pourquoi Sköll, entité non invoquée, a choisi de suivre Eir, puisque s'il a volontairement rejoint la meute d'Eir, il a donc volontairement suivi la jeune louve dans cette école. Ce qui me fait penser que je ne sais pas trop pourquoi elle est l'exception à la règle, finalement. On nous explique pourquoi elle peut être là, mais pas du pourquoi et ÇA m'aurait intéressée aussi. Hum. Je constate encore des questions restées sans réponses.
L'idée de la "thaume", dont je présume la filiation au terme "thune" ( signifiant "argent" dans le jargon français) est un axe déjà exploité. J'ai lu et vu souvent des histoires d'énergie appelée à manquer, mais qui régissant le monde, doit être impérativement remplacée. Je pense au roman "Labyrinthe des rêves" et à de nombreux films de science-fiction. Ce qui est bien avec ce genre de scénario est la prise de conscience de la rareté ou précarité des énergies et le dangers des méthodes lies à son exploitation, comme en témoigne la "grande révélation" de ce roman-ci. Utiliser les laissés pour compte, outrepasser les règles les plus élémentaires d'éthique et carrément tomber dans les expérimentations humaines sont des sujets déjà exploités et pour être honnête, j'envisageais ce genre de scénario dès que le personnage de Joël a parlé de la thaume limitée et dispendieuse. Donc, il y a eu relativement peu de surprises pour moi dans ma lecture. Même son de cloche pour la disparition de Colin, dont le personnage De Luca a parlé de la préciosité de ses écailles. Mais ce peut être une force de l'autrice de semer des indices au fil des pages.
Entre autres détails: j'apprécie que Siméon et Joël aient trouvé le comportement possessif et harceleur de Colin toxique, et non "normal" ou "juste intense". J'ai aussi apprécié le travail sur les références, souvent drôles, parfois même appuyées par des bas de pages et souvent tournés de manière moqueuse quand elles sont absurdes. J'apprécie aussi le côté "geek" assumé. Enfin, il y a une certaine ironie à voir deux ados hybrides humain-vampires porter le nom d'une figure phare du christianisme, Saint-Paul, ainsi que le surnom de Suzelle "La papesse" et son déguisement en pape à Halloween. Rappelons que monstres et religion chrétienne ne font pas bon ménage sur le plan politico-social, folklorique et spirituel, comme en attestent les chasses aux sorcières ou la censure sur les univers magiques par les écoles chrétiennes.
Sur les choses qui m'ont moins plues, je réitère le manque de détails sur certains éléments, parfois sur les évènements, parfois sur les personnages. Les transitions entre chapitres manquent de fluidité et on perds des détails laissés en fin de chapitres parce qu'éludés au début du suivant. J'aurais aimé une plus franche présence de cours, de vie scolaire et de professeurs, parce que nous sommes dans une école. Un élément d'autant plus questionnable que dès le début du livre on nous parle de cette Académie comme d'un endroit pour élites, dont chaque dossier est soigneusement évalué et dont on attend une attitude irréprochable. Ce que j'y ait vu ressemblait bien plus à une petite école secondaire de quartier défavorisé et sous-financée. À certains moments, j'oubliais le cadre scolaire, tant les personnages n'avaient ni devoirs, ni cours, ni cadre ( sérieux, cette école est d'un laxisme irréaliste). Enfin, l'espace temps était parfois incohérent. Certains évènements avaient lieux et soit tombaient dans un espace temps trop petit, soit ils arrivaient tous trop près pour que cela soit logique avec les marqueurs de temps. Il y a peu de repères temporels aussi.
Sur le scénario, je n'ai pas comblé tous les trous creusés par mes interrogations. le "plan"' de notre antagoniste central comporte des failles, il a évoqué des aspects qu'il a préféré laissé en plan malgré leur importance ( notamment les preuves sur le bureau de Colin), on ne fait pas de retours sur "l'expérience" menée sur les élèves, ni sur Siméon, qui en a eu une assez dramatique, ni sur Prune. On suppose que ça n'a pas marché, mais rien n'est ramené à ce sujet. Ç'aurait été pertinent. La fin a été expéditive et a livré des détails plutôt tertiaires au regard de la situation, je trouve. Et encore une fois, je suis médusée par la stupidité, voir l'inertie des adultes en présence. Certes, certains étaient "sous contrôle", mais quand même, c'était vraiment indolent tout ça. le manque de consistance des adultes est un problème récurrent en polar jeunesse. Il faut dire que le sous-genre "Polar tranquille", dont le présent roman a quelques codes, souffre en plus souvent d'un scenario bancal, parce que tous les détails de l'affaire sont en grande partie couverts par des enjeux extérieurs et la bêtise assez généralisée des acteurs sociaux en présence. Bref, c'est un sous-genre qui mériterait de connaitre des réussites en matière de scénario. Ce n'est pas parce que ça se veut drôle que ça doit rester peu aboutie sur le mystère - et sa cohérence surtout. Mon humble et impertinent avis, bien entendu.
Donc, en résumé, c'est un bon roman pour divertir, avec ses originalités amusantes, son humour et ses personnages aux accents anti-héros, ainsi que le large spectre de monstres en présence. Mais un tel univers aurait mérité beaucoup plus de viande autours de l'os et une colonne temporelle plus solide. Il y a matière à faire une série, à approfondir cet univers du genre Fantasy ( Bas) "Ténébreux Sympathique" et à aller jouer sur les cordes des enjeux sociaux qu'il a gratté un peu maladroitement et qui sont intéressantes. Reste que comparé aux Esther Parmentier, cette histoire est plus solide et moins bancale sur le scénario. Et aucun béguin superficiel ne vient abrutir notre protagoniste, qui plus est.
À voir.
Pour un lectorat du premier cycle secondaire, 13-15 ans+.
Pour les profs et bibliothécaires: Il y a la présence de quelques vilains mots, mais aucunes scènes sexuellement explicites ou de violence outrancières.